Moore
9 October 2024

Alors que le monde est confronté aux réalités du changement climatique, la durabilité gagne du terrain dans le monde des affaires. Le secteur immobilier n’y échappe pas, considérant que les bâtiments sont responsables d’environ 18 % des gaz à effet de serre (GES) au Canada. Dans ce contexte, la finance durable émerge comme un nouveau standard dans l’industrie immobilière, forçant les acteurs du milieu à prendre le virage sans plus tarder. L’adoption de pratiques plus vertes se fait toutefois à des vitesses variables.

L’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les pratiques commerciales monte en puissance dans les entreprises du secteur immobilier au Canada. Cependant, la perception de son importance varie selon les acteurs du marché. Alors que certains réduisent leur engagement dans ce domaine en raison des pressions économiques actuelles et des délais de retour sur investissement, d’autres reconnaissent les questions ESG comme des leviers stratégiques pour créer de la valeur. Les avantages associés aux immeubles plus durables deviennent de plus en plus évidents. Une meilleure qualité de vie pour les occupants et des coûts d’exploitation réduits grâce à l’efficacité énergétique ne sont que quelques-uns des bénéfices tangibles pour les entreprises qui adoptent une approche proactive en matière de durabilité.

La réglementation, moteur de changement

Il faut dire que la pression est forte avec l’évolution du cadre réglementaire. L’adoption en 2015 des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies et de l’Accord de Paris sur le climat a incité des gouvernements à travers le monde à revoir leurs exigences. Le Canada a emboîté le pas. Un peu partout au pays, les administrations municipales adoptent des politiques qui rendent obligatoires les normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans le secteur immobilier. À titre d’exemple, Montréal s’est dotée d’une feuille de route pour la décarbonation des bâtiments sur son territoire d’ici 2040. Toronto et Calgary ont aussi adopté une politique sur les bâtiments durables. L’adoption du Code national de l’énergie du Canada pour les bâtiments (CNÉB), en vigueur dans plusieurs provinces, marque aussi une évolution vers une prise en compte obligatoire des facteurs ESG.

Les entreprises immobilières sont également confrontées à de nouvelles exigences en matière de rapports et de réglementations. Il y a notamment les normes établies par le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB) en 2023. Elles auront un impact direct sur les entreprises cotées en bourse, mais leur influence se fera également sentir sur les entreprises non cotées, notamment par le biais des informations liées à la durabilité et au climat que certains locataires rechercheront auprès des propriétaires immobiliers.

Dans leur transformation vers la durabilité, les entreprises immobilières sont tenues de publier des rapports qui détaillent leurs performances ESG conformément à des normes internationales, telles que les lignes directrices du Global Reporting Initiative (GRI) ou les Principes pour l’investissement responsable (PRI). Mesurer ses avancées peut toutefois s’avérer complexe, déplorent certains acteurs de l’industrie. (voir encadrés)

À cela s’ajoute la pression des investisseurs institutionnels qui, conscients des risques associés aux pratiques non durables, intègrent de plus en plus les critères ESG dans leurs décisions d’investissement. Les entreprises qui ne répondent pas à ces normes risquent de se retrouver exclues des portefeuilles d’investissement, ce qui peut avoir des répercussions financières importantes.

Passer à l’action

Pour accélérer leur transition vers une approche plus durable et intégrer efficacement les critères ESG, les entreprises du secteur immobilier doivent d’abord réaliser une évaluation approfondie des risques et des opportunités liés aux critères ESG pour leur portefeuille immobilier. Cela comprend l’identification des risques climatiques, des impacts sociaux et des défis de gouvernance qui pourraient affecter la valeur des actifs. Cela permettra d’élaborer une stratégie ESG intégrée qui définit des objectifs clairs et mesurables en matière de durabilité.

Les critères ESG doivent être pleinement intégrés dans les processus décisionnels de l’entreprise, de la conception des projets immobiliers à leur exploitation et leur gestion quotidienne. La mise en place de systèmes de mesure sera essentielle pour rendre compte des progrès de manière transparente. Les entreprises doivent également investir dans la formation et le développement des compétences de leur personnel pour les familiariser avec les enjeux ESG et les meilleures pratiques du secteur. Cela peut impliquer des programmes de sensibilisation, des sessions de formation et des certifications professionnelles axées sur la durabilité.

Naviguer dans la complexité des normes et cadres de divulgation ESG

Dans un contexte où les marchés des capitaux exigent une communication accrue sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), les entreprises doivent plus que jamais faire preuve de transparence en ce qui a trait aux informations extrafinancières. Pour répondre efficacement à leurs obligations, elles font toutefois face à certains défis.

Il leur faut d’abord déterminer les facteurs ESG pertinents pour leur modèle d’affaires. Quelles sont les problématiques les plus importantes pour l’organisation et ses parties prenantes ? La liste peut être longue entre l’efficacité énergétique des bâtiments, la santé et la sécurité des employés, les relations avec les communautés, des structures de gouvernance solides, pour ne nommer que celles-là.

La mise en place de systèmes de collecte de données fiables et précises pour tous les éléments identifiés est aussi requise pour une couverture complète des performances ESG. Les investisseurs recherchent des données précises, appuyées sur des objectifs clairement définis. Pour capter leur intérêt, il est aussi crucial de se concentrer sur des informations ayant un impact direct sur la situation financière de l’entreprise. Plusieurs déplorent que les données soient trop souvent peu cohérentes et comparables.

Choisir les bons cadres de référence

Les entreprises doivent ensuite sélectionner les cadres de divulgation appropriés, ce qui n’est pas une mince tâche. Comme ils se multiplient et évoluent constamment, il est facile de s’y perdre. Voici un aperçu des principaux cadres et de leur fonctionnement.

Système d’évaluation de l’immobilier commercial (GRESB)

Le Global Real Estate Sustainability Benchmark (GRESB) est une plateforme utilisée par les propriétaires et gestionnaires immobiliers pour déclarer et comparer leurs performances ESG de manière standardisée. Il s’aligne avec des systèmes d’évaluation internationaux, tels que le Global Reporting Initiative (GRI), le Task Force on Climate-related Disclosures (TCFD), et les principes d’investissement responsable des Nations Unies (PRI).

Le GRESB évalue les performances ESG des entreprises en trois catégories : management, performance et développement. Après validation par un vérificateur externe, les entreprises reçoivent un score et une note, ce qui facilite la communication avec les parties prenantes.

En outre, le GRESB analyse les entreprises immobilières cotées en bourse par le biais de son outil Public Disclosure, attribuant des scores basés sur 22 indicateurs ESG pertinents.

Global Reporting Initiative (GRI)

Les normes du GRI sont conçues pour établir des rapports publics sur les impacts économiques, environnementaux et sociaux des organisations. Elles visent à garantir la comparabilité, la transparence et la responsabilité envers les parties prenantes. Les normes GRI sont divisées en quatre séries de normes universelles ou spécifiques à certains enjeux économiques (comportement anticoncurrentiel, performance économique, etc.), environnementaux (gestion des déchets, énergie, eau, etc.) et sociaux (santé et sécurité au travail, diversité, etc.).

Sustainability Accounting Standards Board (SASB)

Le SASB établit des normes sectorielles pour la divulgation des questions environnementales, sociales et de gouvernance, couvrant 77 secteurs. Les normes SASB sont intégrées aux International Financial Reporting Standards (IFRS) et à l’International Sustainability Standards Board (ISSB).

Science-Based Targets Initiative (SBTi)

L’initiative Science-Based Targets reconnaît les entreprises qui définissent des objectifs basés sur la science pour réduire leur empreinte carbone, en alignement avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Le processus de SBTi inclut un engagement, le développement de cibles, leur validation, et la communication des progrès annuels.

Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD)

Le TCFD encourage les entreprises à divulguer des informations sur les risques financiers liés au climat, en se concentrant sur la gouvernance, la stratégie, la gestion des risques et les indicateurs. Ce cadre est intégré aux normes IFRS S1 et S2, introduites par le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB).

Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD)

La TNFD, alignée sur le TCFD, travaille sur la divulgation des informations financières relatives à la nature, aidant les entreprises à comprendre et à gérer les risques et opportunités liés à la nature.

Les entreprises doivent choisir parmi ces cadres pour rendre compte de leurs avancées en matière d’ESG. Selon une étude de Financial Executives International, une association professionnelle de cadres financiers, 85 % des sociétés utilisent plusieurs cadres de divulgation. Une approche structurée et bien informée est donc essentielle pour naviguer dans cet environnement complexe.

Vers une standardisation mondiale

Ces dernières années, des règlementations plus strictes concernant la divulgation des informations relatives à la finance durable se sont mises en place à travers le monde. Avec l’application depuis le 1er janvier 2024 de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) de l’Union européenne (UE), les entreprises sont désormais tenues légalement responsables de leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Leurs premiers rapports sont attendus en 2025, basés sur les données de l’exercice 2024. En raison de l’interconnexion des marchés, cette directive va influencer les opérations et les pratiques de divulgation ESG d’entreprises qui sont hors de ses frontières, notamment en Amérique du Nord.

Le Canada emboite également le pas. Il a récemment franchi une étape importante vers l’uniformisation et la comparabilité des informations sur la durabilité. Le 13 mars 2024, le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) a publié ses premiers projets de normes pour consultation publique, marquant un jalon significatif dans la création des Normes canadiennes d’information sur la durabilité (NCID).

Ces nouvelles normes, la NCID 1 et la NCID 2, sont alignées en grande partie sur les normes IFRS S1 et S2. La NCID 1 concerne les obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité, et la NCID 2 concerne les informations à fournir en lien avec les changements climatiques.

En attendant la version finale de ces projets de normes (attendue dans les prochains mois), les sociétés canadiennes doivent se préparer à leur adoption puisqu’elles devront fournir des informations complètes sur les possibilités et risques liés à la durabilité à partir de janvier 2027.

Répondre à toutes ces exigences rend toutefois la tâche difficile aux organisations. Des investisseurs nord-américains et européens ont lancé un appel en faveur de normes mondiales unifiées et d’un cadre cohérent de divulgation et d’évaluation ESG. Cela permettra de garantir la qualité et la vérifiabilité des rapports. Un dossier à suivre.

Rapports ESG : l’importance croissante de la double matérialité

De nombreuses régulations et standards internationaux, comme ceux promus par la Global Reporting Initiative (GRI) et l’Union Européenne, intègrent maintenant le concept de double matérialité dans les rapports ESG. Cela incite les entreprises à adopter cette approche pour se conformer aux nouvelles exigences réglementaires. L’analyse de double matérialité est toutefois exigeante pour les organisations.

Adopté par l’univers de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) dès 2006 avec la GRI, le concept permet de hiérarchiser les enjeux RSE d’une entreprise pour identifier les plus prioritaires. Généralement, c’est la matérialité financière ou simple qui s’applique. Elle se concentre sur l’impact des enjeux sociétaux et environnementaux sur la performance économique d’une entreprise. Par exemple, en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre, une entreprise peut améliorer son image de marque et attirer des investisseurs, ce qui a un impact financier positif. Cependant, cette approche pose problème pour les sujets sociaux et environnementaux, car certaines informations importantes peuvent être négligées.

La double matérialité, en plus d’identifier les enjeux significatifs pouvant influencer les décisions des acteurs financiers, s’intéresse à l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société. Elle permet d’évaluer comment les actions de l’entreprise affectent les différentes parties prenantes. Par exemple, si une société immobilière implante un complexe d’habitation sur un ancien site industriel, elle devra tenir compte de l’impact sur les écosystèmes locaux, la santé des travailleurs et la qualité de l’environnement, etc.

Des visions opposées

La double matérialité est un concept soutenu par l’Union européenne, porté notamment par l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG), avec une divulgation de données pour une utilisation multipartite (investisseurs, clients, communautés locales, environnement, etc.). Elle sera aussi au cœur de l’application de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). En revanche, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) privilégie plutôt une matérialité uniquement financière, principalement destinée aux investisseurs.

La double matérialité offre néanmoins des avantages significatifs pour les entreprises engagées dans la durabilité et la responsabilité sociale. Avec cette approche, les entreprises peuvent identifier des lacunes dans leur démarche ESG. Cela les incite à améliorer leurs pratiques et à renforcer leur performance durable. En connaissant les attentes de ses parties prenantes, une entreprise peut aussi communiquer de manière plus pertinente et transparente, ce qui renforce la confiance de tout l’écosystème envers elle. En somme, la double matérialité les aide à aligner leurs actions sur les besoins de la société et de l’environnement tout en restant financièrement viables.

Article écrit par : Demers Beaulne

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