Entrepreneurs en construction, attention! L’ARC a de nouveaux moyens de vous repérer
La Cour d’appel fédérale a approuvé récemment un nouveau mécanisme permettant à l’ARC de repérer les entrepreneurs en construction qui ne déclarent pas tous leurs revenus. (Les entrepreneurs en construction résidentielle sont reconnus pour faire des rénovations au comptant et ne pas déclarer la totalité de leurs revenus et de la TPS/TVH.)
Dans Canada c. Rona Inc., 2017 FCA 118, l’ARC a transmis à Rona, qui exploite des quincailleries à travers le Canada, une Demande péremptoire de renseignements au sujet des entrepreneurs qui avaient acheté des fournitures auprès de 57 magasins Rona entre 2012 et 2015. Contrairement aux consommateurs, les entrepreneurs ont normalement des comptes ouverts dans des quincailleries, qui leur permettent d’acheter des matériaux à rabais. Cela signifie que les magasins tiennent des registres dans lesquels sont identifiés ces clients et leurs achats, même s’ils paient comptant.
L’ARC peut normalement transmettre une Demande péremptoire de renseignements sans l’assistance d’un tribunal, à des fins de vérification. Cependant, si les renseignements recherchés concernent des « personnes non identifiées », elle doit obtenir une ordonnance judiciaire, un processus qui vise à assurer une protection contre les « expéditions de pêche ». Pour que la Cour autorise la demande, les personnes au sujet desquelles on demande des renseignements doivent être vérifiables, et il doit être établi que la demande vise à déterminer si les personnes se conforment à leurs obligations fiscales.
L’ARC a soumis cette demande à la Cour fédérale et Rona s’est objectée. La Cour fédérale a accepté la demande en 2016. Rona a fait valoir que l’ARC essayait d’« intimider » l’industrie de la construction en menaçant de poursuites criminelles, mais aucune preuve n’existait à cet effet. La demande, légitime, visait des fins de vérification.
Rona a interjeté appel à un niveau supérieur, auprès de la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel vient de confirmer que l’ordonnance émise était conforme au pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale, et ne serait pas rejetée. Le fait qu’un vérificateur de l’ARC ait obtenu un formulaire d’ouverture de crédit de Rona en prétextant être un entrepreneur n’importait pas car le formulaire était généralement à la disposition du public.
Comme Rona a demandé l’autorisation d’en appeler de cette décision auprès de la Cour suprême du Canada, il y a encore une faible possibilité que la décision soit renversée. Entre-temps, les entrepreneurs qui ont recours aux services de Rona devraient peut-être recourir au programme de divulgation volontaire de l’ARC et divulguer leurs ventes non déclarées ainsi que la TPS/TVH correspondante. Dès lors que l’ARC commence une vérification, il est trop tard pour une divulgation volontaire.
Il n’est peut-être pas sage de s’adresser à un tribunal avec un cas de fraude commise à l’égard d’une autre personne
La récente décision de la CCI dans Mineiro c. La Reine, 2017 CCI 109 (pour le moment en français seulement) est une leçon sur la façon de ne pas mener ses affaires. Il s’agissait d’un appel en vertu des règles relatives aux « transferts de biens entre des personnes ayant un lien de dépendance » (article 160 de la LIR, ou article 125 de la Loi sur la taxe d’accise pour ce qui est de la TPS/TVH), selon lesquelles l’ARC ou Revenu Québec (RQ) peut imposer un proche auquel un « débiteur fiscal » (personne ayant une dette d’impôt non réglée) a transféré un bien. Le proche auquel l’argent ou le bien est transféré est redevable de la dette fiscale du cédant, à hauteur de la valeur du bien transféré (moins toute « contre-partie » redonnée).
Marisa, la fille de Joe, a reçu, en 2012, un chèque de 15 000 $ de la société de Joe. À ce moment, la société devait un montant de TPS. RQ, qui administre la TPS au Québec, a imposé Marisa pour la dette de TPS de la société.
Marisa a interjeté appel devant la CCI, en faisant valoir que le chèque lui avait été remis en remboursement partiel d’un prêt qu’elle avait consenti à son père. Marisa et son père ont tous deux témoigné devant la Cour. Leur explication remontait à l’achat, par Marisa et son fiancé, d’un appartement en copropriété en 2002. Joe avait fait d’importantes rénovations à l’appartement, avec l’intention de le faire gratuitement. Lorsque Marisa et son fiancé ont rompu leur relation, ils ont vendu l’appartement et se sont séparé le produit de la vente après avoir remboursé l’emprunt hypothécaire. Cependant, afin de réduire la valeur du produit de la vente, Joe a produit une facture de 32 000 $ à Marisa pour les travaux de rénovations qu’il avait faits, puis a inscrit une « hypothèque légale » (équivalant à un « privilège du constructeur ») sur le bien. Un montant de 32 000 $ a été payé à Joe sur le produit de la vente, avec le consentement de l’ex-fiancé.
Marisa et Joe ont témoigné que les 32 000 $ n’étaient par vraiment destinés à Joe. Il avait été convenu, en secret, qu’il s’agissait d’un prêt de Marisa à Joe de telle sorte qu’au moment où la société de Joe lui a versé 15 000 $, il s’agissait d’un remboursement partiel du prêt. Marisa a donc fait valoir qu’elle avait fourni une « contrepartie » pour les 15 000 $ en réduisant le montant du prêt qui lui était dû.
Le juge de la CCI a rejeté l’appel de Marisa. L’histoire qu’avaient racontée Marisa et Joe n’était pas suffisamment crédible pour être crue. Il n’existait aucun document corroborant ledit prêt, qui contredisait l’acte notarié, ni aucune raison pour laquelle la société plutôt que Joe en aurait remboursé une partie à Marisa. Les preuves étaient en outre incompatibles avec le témoignage que Joe avait donné en appel de son propre avis de cotisation quelques années auparavant. De même, la crédibilité de Marisa pouvait être mise en doute, à la fois parce qu’elle n’avait jamais déclaré son gain sur l’appartement et parce qu’elle avait elle-même témoigné avoir utilisé ce stratagème d’une fausse facture pour berner son ex-fiancé.
La conclusion de la Cour était juste. Marisa et Joe avaient peut-être effectivement comploté pour berner l’ex-fiancé comme ils le disaient, mais la Cour n’était pas tenue d’approuver cette conduite en permettant à Marisa de l’utiliser pour échapper à l’avis de cotisation de TPS établi à son endroit.