Moore
Bulletin de juin 2023

Si votre nom est inscrit dans le registre provincial ou fédéral des sociétés en qualité d’« administrateur » d’une société (dont un organisme sans but lucratif ou de bienfaisance) − ou même si n’occupez pas une telle fonction conformément à la loi mais êtes effectivement responsable d’une société constituée − vous devez être au courant des risques fiscaux associés à cette fonction ainsi que des mesures que vous pouvez prendre pour vous protéger.

Chaque année, l’ARC et Revenu Québec (RQ) adressent des avis de cotisation à des centaines d’administrateurs leur réclamant des sommes dues par leurs sociétés. Dans nombre de ces cas, l’administrateur ou l’administratrice n’était pas au courant de ce risque et de ce qu’il aurait convenu de faire pour éviter cette responsabilité personnelle. Un nombre incalculable de Canadiens ont vu leurs actifs confisqués et leur vie ruinée à cause de cette erreur.

[Dans les explications données ci-après, les renvois à l’ARC visent aussi RQ. Au Québec, RQ n’administre pas seulement l’impôt sur le revenu provincial et la taxe de vente du Québec (TVQ), mais aussi la TPS.]

Pour quelles dettes fiscales de la société un administrateur peut-il être imposé?

 Les principales dettes fiscales visées sont les suivantes :

  • les retenues sur salaires (impôts sur le revenu, cotisations au RPC/RRQ et AE) qui ont été effectuées mais dont les montants n’ont pas été remis, ou qui auraient dû être effectuées;
  • la TPS ou TVH (et, au Québec, la TVQ) que la société a perçue, ou aurait dû percevoir, moins les déductions admissibles comme les crédits de taxes sur les intrants (c’est-à-dire, donc, le montant de la « taxe nette » de la société);
  • les intérêts et pénalités sur les sommes ci‑dessus que doit payer la société, plus les intérêts sur le montant qui vous est imposé depuis le moment où l’ARC vous adresse un avis de cotisation.

D’autres dettes sont visées également, comme les taxes de vente au détail provinciales non perçues, et certains autres impôts et taxes fédéraux et provinciaux.

Fait à signaler, un administrateur n’est pas responsable des impôts sur le revenu de base que doit payer la société. Il arrive souvent toutefois qu’un administrateur (ou actionnaire) qui a reçu quelque chose, incluant un dividende, de la société dans une année donnée depuis l’année où la dette fiscale s’est concrétisée soit imposé en vertu de la règle relative au « transfert de biens », énoncée à l’article 160 de la LIR, ou de la règle correspondante relative à la TPS stipulée l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise.

Qu’en est-il si vous n‘êtes pas un administrateur conformément à la loi?

Si vous êtes membre d’un conseil d’administration, vous êtes responsable des retenues sur salaires et du montant net de la TPS/TVH, comme il a été dit plus haut, et susceptible d’invoquer divers arguments de défense possibles expliqués plus loin. Vous pouvez toutefois être également responsable si vous êtes un administrateur de fait, c’est‑à‑dire en pratique, même si vous ne l’êtes pas conformément à la loi.

Par conséquent, si vous participez à l’exploitation d’une société, ou si la société est inactive mais que vous êtes la personne faisant affaire avec l’ARC au nom de la société et répondant aux questions posées à son sujet, vous pourriez être considéré comme un administrateur de fait. En ce cas, vous seriez tout aussi responsable que si vous aviez été administrateur conformément à la loi.

Dans le jugement Koskocan rendu en 2016 par la Cour canadienne de l’impôt (CCI), la cour a restreint quelque peu la définition d’administrateur de fait en faisant valoir que ce sont les membres de la direction, et non les administrateurs, qui gèrent normalement les affaires quotidiennes d’une société. Cependant, la question de savoir si vous êtes un administrateur de fait dépendra grandement des faits propres à votre situation.

Qu’en est-il des autres administrateurs?

Tous les administrateurs sont solidairement responsables, ce qui signifie que n’importe quel d’entre eux peut être tenu redevable de 100 % de la dette.

En pratique, l’ARC peut s’adresser à quiconque semble avoir le portefeuille le mieux garni. Les administrateurs ont alors droit à une « contribution » des uns envers les autres, mais cela exige que les autres administrateurs soient poursuivis en cour civile provinciale pour leur portion de la dette, et ces autres administrateurs peuvent fort bien être en faillite ou n’avoir aucun actif susceptible de saisie, même si les poursuivants gagnent leur procès.

Que doit prouver l’ARC?

Rien. Si vous portez en appel l’avis de cotisation, vous avez le fardeau de prouver que vous n’êtes pas responsable, du fait que l’un des arguments de défense ci‑après s’applique.

Premier argument de défense : « Je n’étais pas membre du conseil d’administration »

Si vous n’avez jamais accepté par écrit une nomination au conseil d’administration, vous n’étiez peut-être pas administrateur et vous n’êtes pas responsable. Comme on l’a vu plus haut, toutefois, il se peut que vous ayez été un « administrateur de fait », en faisant ce que font les administrateurs (gestion de la société, signature de documents, ou représentation).

 

Si vous n’étiez ni un administrateur ni un administrateur de fait au moment où la dette de la société s’est concrétisée, vous n’êtes pas responsable de cette dette. Par conséquent, si vous êtes devenu administrateur à un moment où la société avait déjà une dette importante au titre des retenues sur salaires ou de la TPS/TVH, vous pourriez être en mesure d’éviter l’avis de cotisation.

Cependant, les remises effectuées pendant que vous étiez membre du conseil d’administration auront normalement été imputées par l’ARC aux créances les plus anciennes (dont vous n’auriez pas assumé la responsabilité), à moins que la société ait formellement demandé à l’ARC de les imputer aux créances récentes. Vous pourriez alors devoir assumer la responsabilité des nouvelles obligations de remise même si la société a fait suffisamment de remises pour couvrir ces obligations pendant que vous étiez membre du conseil d’administration.

Qu’arrive-t-il si vous démissionnez avant que la dette ne se concrétise (c’est-à-dire, avant que la société soit tenue de remettre les sommes déduites sur les salaires ou la TPS/TVH)? Vous n’êtes pas responsable; mais prouver que vous avez démissionné et n’avez pas continué d’agir comme administrateur de fait pourrait être difficile. Ce sujet est abordé à la rubrique Deuxième argument de défense ci-dessous.

Deuxième argument de défense : « J’ai démissionné plus de deux ans avant la date de l’avis de cotisation »

Si vous avez cessé d’être membre du conseil d’administration plus de deux ans avant la date de l’avis de cotisation vous désignant comme administrateur, vous n’êtes pas responsable.

Cependant, si votre nom n’a pas été retiré du registre public des sociétés au moment où vous avez démissionné, il pourrait être difficile de prouver que vous avez démissionné. On peut comprendre que l’ARC se méfie des personnes qui prétendent avoir démissionné il y a plus de deux ans mais ne peuvent concrètement prouver qu’elles ont transmis leur lettre de démission à la société à ce moment. Vous devrez pouvoir démontrer, à partir de l’ensemble des circonstances entourant la situation et d’autres documents, que vous avez réellement démissionné.

Même si vous avez démissionné, si vous avez continué d’agir comme administrateur de fait, vous jouerez de malchance.

Si la société a été dissoute plus de deux ans avant la date de l’avis de cotisation, vous avez cessé d’être membre du conseil d’administration à ce moment. Il arrive toutefois que l’ARC demande à un tribunal de « ranimer » une société rétroactivement, de façon à pouvoir imposer les administrateurs. Cette mesure peut être contestée, mais vous aurez besoin des conseils professionnels d’un avocat qui connaît bien cette question.

Notez qu’il n’y a aucun autre délai de prescription. Même si le défaut de la société de remettre la TPS est survenu il y a 25 ans, vous pouvez être cotisé à l’égard du montant en cause, avec en sus des intérêts composés astronomiques qui dépassent largement le montant initial de la taxe.

Troisième argument de défense : « L’avis de cotisation de la société était erroné »

Si vous pouvez démontrer que la société n’était pas réellement redevable du montant des retenues sur salaires ou de la TPS/TVH que l’ARC lui réclame, vous pourriez alors être en mesure d’obtenir la réduction ou l’annulation du montant indiqué dans l’avis.

L’ARC avait l’habitude de rejeter cet argument de défense, faisant valoir que si la société n’a pas interjeté appel de son propre avis de cotisation, celui-ci est « réputé valide et exécutoire » de par la loi et ne peut plus être réfuté. La CCI hésitait à accepter ce raisonnement. La Cour d’appel fédérale (CAF) a toutefois affirmé clairement, dans Duque 2020, que si vous pouvez démontrer que la dette de la société était inférieure aux prétentions de l’ARC, vous pouvez obtenir que le montant de la cotisation soit diminué. Cela est toutefois difficile à faire si la documentation justificative a disparu. Alléguer simplement que la dette « ne pouvait sûrement pas être aussi élevée » sera infructueux; vous aurez besoin de preuves véritables.

Quatrième argument de défense : « Je satisfais le critère de diligence raisonnable »

L’ARC vous offre cette possibilité de défense lorsqu’elle vous écrit pour la première fois pour vous signifier qu’elle se propose de vous imposer à titre d’administrateur, et vous demande si vous avez quelque chose à dire.

Cet argument prend la forme suivante : un membre du conseil d’administration d’une société n’est pas responsable du défaut de celle-ci de remettre les sommes prélevées au titre des retenues sur salaires ou de la TPS/TVH s’il a agi « avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. »

 

Des centaines de décisions publiées par la CCI et la CAF mettent en cause cet argument de défense. Il s’agit d’un critère objectif : considérant objectivement vos actions, respectiez-vous le critère ci-dessus? Vous devez démontrer que vous avez pris des mesures concrètes pour vous assurer que les impôts et taxes avaient été remis, comme la mise en place de systèmes assurant la transmission des sommes prélevées. Il ne suffira pas de plaider la confiance naïve, ou l’ignorance de la dette. Si des « drapeaux rouges » indiquaient que la société était en difficulté financière, votre responsabilité de vous assurer que cette dernière s’acquittait de ses obligations quant à la remise des retenues sur salaires et de la TPS/TVH était d’autant plus lourde.

Notez aussi que le fait d’avoir pris des mesures concrètes pour le règlement de la dette impayée de la société − même si vous y avez investi de votre propre argent – ne sera pas pertinent. Vous devrez démontrer que vous avez satisfait le critère de la diligence raisonnable au moment où l’obligation de remise de la société s’est concrétisée − c’est-à-dire au moment de l’échéance de production de la déclaration de TPS/TVH ou de remise des retenues sur salaires.

 

Conclusion

Si vous êtes membre du conseil d’administration d’une société, assurez-vous que cette dernière remet bien toutes les retenues sur salaires ainsi que tous les montants de TPS/TVH exigés. Adoptez un comportement proactif : si vous ne gérez pas l’entreprise vous‑même, prenez des mesures concrètes qui s’imposent pour vous assurer que les remises sont vraiment effectuées. Consignez ce que vous faites, si vous êtes un administrateur externe et que vous dépendez d’autres personnes : transmettre vos demandes par courriel est une façon de procéder. Si vous n’avez pas la certitude que les remises sont effectuées, démissionnez et assurez‑vous que votre démission est immédiatement consignée dans le registre public des sociétés − et espérez que deux années s’écoulent sans que vous receviez d’avis de cotisation.

Si vous ne savez pas avec certitude si vous êtes membre d’un conseil d’administration, faites en sorte de trancher la question! Être actionnaire n’est pas la même chose que d’être administrateur; vous pouvez être l’un sans être l’autre. Vérifiez les registres de procès-verbaux de la société, ou consultez le registre public des sociétés pour savoir si votre nom y figure. Il est impératif de le savoir.

Si vous recevez un avis de cotisation à titre d’administrateur, ou si l’ARC se propose de vous cotiser, vous devez obtenir un avis professionnel le plus tôt possible pour déterminer les options qui s’offrent à vous. Vous pourriez peut-être invoquer l’un des arguments de défense exposés plus haut. Assurez-vous de produire un avis d’opposition auprès de l’ARC dans les 90 jours suivant l’avis de cotisation, sinon vous pourriez perdre votre droit d’appel.

Mise à jour : 8 June 2023