Moore
Bulletin d’avril 2024

Se voir confier la fonction de liquidateur (exécuteur) d’une succession s’accompagne d’une lourde responsabilité, qui se matérialise souvent à un bien mauvais moment si la personne décédée est un membre de la famille. Cette responsabilité ne doit pas être prise à la légère. Le processus d’administration de la succession peut s’étendre parfois sur des années.

L’inventaire des biens de la succession et leur répartition ultime entre les héritiers impliquent de multiples tâches et obligations pratiques. Le liquidateur doit recenser les biens qui composent la succession, s’assurer que sont réglées toutes les dettes de la personne décédée (y compris les dettes fiscales), retrouver tous les héritiers et communiquer avec eux et, enfin, s’assurer que tous reçoivent leur dû.

L’impôt est souvent abordé en dernier dans ce processus, mais nombre de responsabilités importantes en matière de déclarations fiscales à produire et d’échéances à respecter doivent être gardées à l’esprit dès le départ. Certaines facilitent d’ailleurs la minimisation des impôts pour la succession.

Lorsqu’une personne décède, elle est réputée avoir disposé de la totalité de ses biens, et les avoir réacquis, à leur juste valeur marchande au moment du décès. Ainsi, tous les gains latents sur les biens sont réalisés au moment du décès, et les impôts sur ces gains sont payables dans l’année. Cela signifie en outre que les bénéficiaires ultimes héritent des biens à un coût égal à leur juste valeur marchande.

Inscription auprès de l’ARC

L’une des premières étapes du processus consiste pour la personne désignée à informer du décès l’Agence du revenu du Canada (ARC) et à s’inscrire à titre de liquidateur (exécuteur) de la succession, ce qui lui permet de traiter des questions fiscales à titre de représentant légal de la personne décédée. On trouvera ici les renseignements sur les modalités d’inscription.

Afin de s’inscrire, le liquidateur doit réunir une copie du certificat de décès de la personne décédée, une copie du testament qu’elle a laissé (si tel est le cas), une copie des lettres d’homologation (ou des lettres d’administration, si elle n’a pas laissé de testament), ainsi que son numéro d’assurance sociale. Si la personne décédée n’a pas laissé de testament, un formulaire RC552 doit aussi être rempli dans le cadre du processus d’inscription.

L’inscription doit être faite tôt dans le processus d’administration de la succession. L’ARC estime en ce moment que l’accès aux dossiers fiscaux est donné dans les 28 jours ouvrables suivant l’inscription, bien que ce délai puisse souvent être plus long en pratique.

Déclaration T1 finale

La première déclaration que le liquidateur devra vraisemblablement remplir est la déclaration de revenus personnelle T ultime de la personne décédée – appelée T1 finale −, laquelle couvre la période allant du 1er janvier de l’année du décès à la date du décès.

Cette déclaration doit faire état de la disposition réputée des biens de la personne décédée au moment du décès, ainsi que de ses revenus jusqu’à la date du décès.

Les déclarations fiscales antérieures de la personne décédée pourront aider à retracer les sources de revenus. Le liquidateur obtiendra des conseils professionnels, puisqu’une répartition des revenus pourra devoir être faite selon différentes sources. Diverses exemptions et divers crédits pourront également être demandés dans l’année du décès.

Une recherche des documents de la personne décédée pourra mettre en lumière les coordonnées d’un comptable ou autre expert qui a préparé ses déclarations fiscales, et faciliter ainsi le travail.

Il faudra porter une attention particulière à certaines sources de revenus qui apparaissent à la suite du décès. Ainsi, la valeur du REER de la personne décédée pourrait devoir être déclarée comme revenu dans la T1 finale, selon que certains bénéficiaires remplaçants ont été ou non désignés.

L’échéance de production de la T1 finale est le 30 avril de l’année suivant le décès si la personne est décédée au cours des 10 premiers mois de l’année. Si elle est décédée dans les deux derniers mois, l’échéance est fixée à six mois après le décès. Si la personne décédée travaillait à son compte (travail autonome), l’échéance est repoussée au 15 juin si la personne est décédée avant la 16 décembre (ou à 6 mois après le décès si elle est décédée après le 15 décembre).

Si la T1 finale est produite en retard, risquent de s’appliquer des pénalités et des intérêts dont le liquidateur pourrait être tenu personnellement responsable!

Déclaration de succession T3

Tout au long du processus d’administration de la succession, il est possible que certains biens de la personne décédée continuent de produire des revenus ou des gains. Par exemple, si la personne décédée détenait des placements de portefeuille, un certain temps pourrait être nécessaire à leur liquidation. Une déclaration de succession T3 devra être produite pour rendre compte des revenus et des gains réalisés après le décès, et cela chaque année jusqu’à ce que la succession soit réglée.

Une succession est essentiellement une fiducie aux fins de l’impôt. La plupart des fiducies paient l’impôt sur le revenu au taux marginal le plus élevé, ce qui engendre un lourd fardeau fiscal. Une succession peut toutefois se désigner elle-même comme une « succession assujettie à l’imposition à taux progressifs » aux fins de l’impôt, dans la mesure où diverses conditions sont remplies et où la succession procède à cette désignation dans sa première déclaration T3.

La désignation de succession assujettie à l’imposition à taux progressifs peut s’appliquer jusqu’à 36 mois après la date du décès. Principal avantage de cette désignation : la succession a droit aux mêmes taux et tranches d’imposition qu’un particulier, ce qui peut réduire de beaucoup l’impôt qu’elle doit payer.

La date d’échéance de production de la déclaration de succession est établie à 90 jours après la fin de chaque année d’imposition de la succession. Le liquidateur peut choisir n’importe quelle date comme fin d’année d’imposition, mais il doit s’y tenir chaque année par la suite.

Comme nous l’expliquons ci-après, le choix d’une fin d’année d’imposition de la succession peut se répercuter sur le calendrier d’exécution de diverses opérations de planification possibles. Il faut donc consulter un expert avant de choisir la première date de fin d’année de la succession.

Déclaration des droits ou biens

Une troisième déclaration, facultative − la déclaration des droits ou biens − peut être produite dans le but de rendre compte de revenus auxquels la personne décédée avait droit à la date de son décès, mais qui ne lui avaient pas encore été versés.

À titre d’exemples de tels revenus, mentionnons les paiements de salaires gagnés et de dividendes qui avaient été déclarés avant le décès.

Même si ces montants peuvent être déclarés dans la T1 finale de la personne décédée, question de ne pas produire la déclaration additionnelle, le principal avantage est que la déclaration des droits ou biens donne accès à des tranches d’imposition séparées et à certains crédits d’impôt distincts.

En conséquence, avec la T1 finale, des tranches d’imposition marginales peuvent être utilisées « deux fois ». Si la personne décédée avait d’importants revenus courus mais impayés au moment du décès, les économies d’impôt pourraient être substantielles et pourraient justifier le temps et les frais associés à la production d’une déclaration additionnelle.

Le délai de production d’une déclaration des droits ou biens correspond à la plus tardive des deux dates suivantes : i) 90 jours à compter de la date de l’avis de cotisation reçu consécutivement à la production de la T1 finale, et ii) un an après la date du décès.

Autres déclarations fiscales

L’une des responsabilités du liquidateur est de s’assurer que la personne décédée est à jour pour ce qui est de ses obligations de production de déclarations fiscales. Cela vaut aussi pour les déclarations des années précédentes, si la personne décédée ne s’était pas acquittée de ses obligations avant son décès. Si cette dernière était en défaut relativement à la production de ses déclarations depuis plusieurs années, le processus pourrait devenir lourd et coûteux.

 

Certificat de décharge

Une fois soumises toutes les déclarations fiscales exigées, et l’impôt payé (et réglées toutes les autres dettes), le résidu de la succession peut être distribué entre les héritiers conformément au testament de la personne décédée.

Il est toutefois fortement conseillé − avant de répartir les biens entre les héritiers − de mettre en œuvre une dernière procédure courante consistant à demander une décharge à l’ARC.

Le certificat de décharge confirme que toutes les déclarations fiscales ont bien été produites et les impôts, payés, et qu’il ne reste aucune dette fiscale tant pour la personne décédée que pour la succession. L’obtention de la décharge met à l’abri le liquidateur de toute responsabilité advenant que des dettes fiscales aient été omises. Si les biens de la succession ont été entièrement distribués, et qu’une dette fiscale est mise au jour, le liquidateur pourrait devoir régler cette dette personnellement!

L’obtention d’une décharge peut demander du temps. L’ARC estime qu’il faut environ 120 jours pour traiter la demande bien qu’en pratique, cela puisse exiger beaucoup plus de temps. Les héritiers doivent donc être informés que l’attente sera longue, et qu’ils pourraient ne pas recevoir la totalité de leur dû avant un bon moment.

Planification fiscale : aspects à prendre en considération

Diverses options de planification fiscale peuvent être mises en œuvre afin de maximiser la valeur des biens de la succession qui passent aux héritiers, en particulier si la personne décédée détenait des actions de société privée (fermée).

Lorsque la personne décédée détient des actions au moment de son décès, il y a possibilité de double, voire de triple, imposition à l’égard des actions et des biens sous-jacents de la société. Par exemple, la personne décédée paiera l’impôt sur la plus-value afférente aux actions au moment du décès, mais ladite valeur doit néanmoins être versée par la société à la succession, le plus souvent sous la forme de dividendes (qui sont également assujettis à l’impôt.)

Un moyen d’éviter telle double imposition est le « report rétrospectif de perte ». Cette forme de planification consiste essentiellement dans le transfert ou la cession des actions de la personne décédée. Cette cession se traduira habituellement par un dividende réputé, mais entraînera aussi normalement la réalisation d’une perte en capital (car le montant du dividende réduit le montant de la contrepartie de la cession). Dans certaines circonstances, cette perte peut faire l’objet d’un report rétrospectif à la T1 finale et être portée en diminution des gains réalisés par suite du décès.

Un report rétrospectif permet d’éviter la double imposition en remplaçant le gain en capital au décès par un dividende.

La mise en œuvre de cette stratégie nécessite le respect d’exigences strictes. Fait important, la succession doit être désignée comme une succession assujettie à l’imposition à taux progressifs et les mesures appropriées doivent être prises dans la première année d’imposition de la succession. C’est pourquoi il est donc important de bien choisir la fin d’année d’une succession, car une fin d’année hâtive peut rendre impossible la réalisation d’un plan de report rétrospectif en raison du manque de temps.

Une autre option visant à minimiser ou à prévenir la double imposition au décès est connue sous le nom de « pipeline post-mortem ». Ici encore, la stratégie peut être mise en œuvre à l’égard d’actions de société privée (fermée).

Cette stratégie consiste dans la cession des actions (le plus souvent sans gain puisque le coût des actions est majoré du fait de la disposition réputée au décès) et l’émission subséquente d’un titre de dette en faveur de la succession pour la juste valeur marchande des actions, qui peut être versée à la succession en franchise d’impôt.

Comme pour la stratégie de report rétrospectif, des conditions strictes doivent être remplies pour que ce type de plan soit fructueux, en particulier en rapport avec l’exploitation continue de l’entreprise et le calendrier de remboursement de la dette.

Si une société privée détient un terrain ou des bâtiments, une troisième couche d’imposition risque de se faire jour car la société peut devoir vendre le bâtiment (et payer l’impôt sur tout gain en capital) avant de verser le produit à la succession. Dans cette situation, une stratégie de planification additionnelle consiste à « majorer » le coût des biens sous-jacents dans la société. Ce plan complexe peut être mis en œuvre en lien avec un pipeline post-mortem pour faire en sorte que soit évitée une double ou triple imposition.

En bref, si la personne décédée détenait des actions d’une société privée (fermée), il existe nombre d’options de planification − assez complexes − permettant de minimiser les risques fiscaux associés à ces actions.

Les explications ci-dessus ne font qu’effleurer les considérations fiscales relatives à un décès. L’une des premières mesures qu’un liquidateur doit prendre est de retenir les services d’un conseiller professionnel qui pourra le guider tout au long de l’ensemble du processus d’administration de la succession.

Mise à jour : 10 April 2024