Moore
Bulletin de septembre 2023

Soyez sur vos gardes lorsque vous recevez de l’argent ou un cadeau ou bénéficiez de la cession d’un bien provenant d’un membre de votre famille, y compris de votre conjoint(e), si cette personne doit (ou pourrait éventuellement devoir) quelque argent à l’Agence du revenu du Canada (ARC) au titre soit de l’impôt sur le revenu soit de la TPS/TVH.

L’ARC a le pouvoir de retracer un bien ou de l’argent cédé à une personne avec laquelle le débiteur a un lien de dépendance − ce qui englobe les membres de sa famille proche (et, selon les circonstances, peut-être aussi des amis).

Si un débiteur fiscal vous transfère de l’argent ou un bien (par exemple, des liquidités ou la maison familiale) dans une année, ou à l’égard d’une année, au cours de laquelle il doit de l’argent à l’ARC, ou au cours de quelque année ultérieure, le fisc peut, en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), vous réclamer l’impôt sur la valeur nette de ce que vous avez reçu. (La même règle générale s’applique en vertu de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise pour toute somme non remise au titre de la

TPS ou de la TVH pouvant être due par le débiteur fiscal.)

La dette envers l’ARC pourrait avoir plusieurs sources, dont les suivantes :

  • impôt sur le revenu personnel du débiteur;
  • défaut de remettre des sommes retenues (à la source) sur des salaires ou des montants perçus au titre de la TPS/TVH par une personne exploitant une entreprise;
  • somme imposée à un administrateur pour défaut d’une société de remettre des retenues sur des salaires ou des montants perçus au titre de la TPS/TVH.

Exemple

Richard et Linda ont la propriété conjointe de leur résidence, laquelle a une valeur de 200 000 $ et n’est grevée d’aucune hypothèque. En septembre 2023, Richard cède sa part de 50 % dans la résidence à Linda, de telle sorte que celle-ci en ait l’entière propriété.

Richard est membre du conseil d’administration d’une société qui clôt son exercice le 31 décembre. En novembre 2023, l’entreprise commence à connaître des difficultés financières et utilise 130 000 $ des retenues sur salaires et des montants perçus au titre de la TPS/TVH pour payer des créanciers plutôt que de remettre les fonds à l’ARC. Plus tard, la société fait faillite, laissant derrière elle une cohorte de créanciers dont l’ARC.

L’ARC pourra réclamer à Richard, à titre d’administrateur de la société, les 130 000 $ des retenues salariales et des montants de TPS/TVH non remis. Pour éviter cette dette, Richard devra normalement démontrer qu’il « a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté […] qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables » (la défense de « diligence raisonnable »).

Supposons que Richard soit tenu responsable de la dette de 130 000 $, mais qu’il ne dispose pas des actifs nécessaires pour s’en acquitter.

L’ARC pourra imposer Linda en vertu de l’article 160 pour 100 000 $, soit la valeur de ce que Richard lui a cédé, puisque la cession a eu lieu dans la même année. Elle sera personnellement responsable de cette dette et, si elle n’a pas d’autres actifs, l’ARC enregistrera un privilège sur la résidence (et pourra même en forcer la vente).

Richard aura donc beaucoup aggravé les choses en cédant la résidence à Linda. Tous les autres actifs de cette dernière seront maintenant saisissables, en plus de la résidence.

Linda pourra faire l’objet d’un avis de cotisation à n’importe quel moment − même 5, 10 ou 20 ans après la naissance de la dette de Richard. Cette cotisation ne fait l’objet d’aucun délai de prescription.

Comme nous l’avons vu plus haut, il n’est pas nécessaire que la cession soit faite à un conjoint pour être visée. Les cessions à d’autres membres de la famille seront soumises au même traitement. Il en va de même des cessions faites à un actionnaire.

Voici quelques autres exemples de cas où la cour a estimé que cette règle s’appliquait − certains pour le moins surprenants :

  • David et Diane habitent une résidence qui est enregistrée au nom de Diane (et cela depuis des années). David, qui est le seul gagne-pain de la famille, fait tous les versements hypothécaires sur la résidence. Il reçoit un avis de nouvelle cotisation d’impôt sur le revenu d’une année antérieure.Les versements hypothécaires peuvent être considérés comme une cession d’argent de David à Diane, de telle sorte que cette dernière peut être imposée pour les dettes fiscales de David. (Certains cas de jurisprudence ont permis une réduction pour la valeur du loyer gratuit que David avait reçu de Diane mais d’autres, non.) Si Diane n’a pas d’argent, l’ARC peut enregistrer un privilège sur sa résidence.
  • Marie est la seule actionnaire de Marie ltée, une société exploitant une petite entreprise. Marie ltée verse un dividende de 20 000 $ à Marie. Au bout du compte, Marie ltée manque de fonds pour payer les 15 000 $ d’impôts de l’année. L’ARC essaie d’obtenir règlement de la dette auprès de Marie ltée mais sans succès.L’ARC peut imposer Marie pour la cession d’un bien effectuée par la société sous forme de dividende. Marie sera probablement redevable des 15 000 $ − même si elle a déjà payé l’impôt sur le revenu de dividende de 15 000 $! (Les tribunaux ont estimé que cet impôt total de 130 % à 150 % environ était justifié.)
  • Louis est actionnaire majoritaire de la société Louis ltée. Louis doit 10 000 $ à Karilène au titre d’un emprunt personnel. Il fait en sorte que Louis ltée paie les 10 000 $ à Karilène pour régler la dette de Louis. La société se trouve alors incapable de payer ses impôts sur le revenu ou de faire ses remises de TPS pour l’année.L’ARC peut imposer Louis à hauteur de 10 000 $ pour les dettes fiscales de Louis ltée. Le paiement fait à la créancière de Louis (Karilène) est considéré comme une cession d’argent à Louis. (Il sera en outre imposable pour Louis comme un avantage de 10 000 $ consenti à un actionnaire.)
  • Keit quitte le Canada pour les Bahamas en laissant derrière lui des dettes fiscales impayées. L’ARC ne peut recouvrer sa créance parce que Keit est à l’extérieur du ressort territorial canadien, même si elle communique avec lui périodiquement pour lui demander de régler. Keit décède 20 ans plus tard, laissant de l’argent à ses enfants, qui habitent toujours au Canada. L’ARC peut imposer les enfants dans le but de recouvrer l’ancienne dette de leur père, plus les intérêts de 20 années − quitte pour cela à saisir la totalité de leur héritage.
  • Suzanne paie le mariage de sa fille alors qu’elle doit une somme importante à l’ARC. Sa fille sera imposée pour le montant payé par Suzanne pour le mariage.

Exceptions

L’article 160 prévoit quelques exceptions à la règle du « retraçage ».

En premier lieu, la règle ne s’applique pas dans la mesure où le cédant reçoit une contrepartie pour le bien cédé. Par conséquent, dans le premier exemple ci‑dessus, si Linda avait payé 30 000 $ à Richard pour la part de 100 000 $ dans la résidence que ce dernier lui a cédée (ou si la cession avait annulé un prêt antérieur de 30 000 $ que Linda avait fait à Richard), l’ARC ne pourrait alors imposer que 70 000 $ à Linda − valeur nette de ce qui a été cédé.

En second lieu, la règle ne s’applique généralement pas à une cession lors de la rupture d’un mariage, si la cession est effectuée en vertu d’une ordonnance judiciaire (un acte de divorce, par exemple) ou d’une convention de séparation écrite. Par conséquent, si Richard a cédé sa part dans la résidence à Linda par suite de leur séparation ou de leur divorce, l’ARC pourrait ne pas être en mesure de cotiser Linda. Ces règles s’appliquent aux conjoints de fait comme aux couples mariés.

Attention!

Les agents percepteurs de l’ARC suivront activement les cessions faites par des contribuables fautifs. Ils consulteront par exemple les registres des cessions immobilières, les registres bancaires et d’autres sources d’information afin de retracer les cessionnaires susceptibles d’imposition.

Par conséquent, si un membre de votre famille vous propose un cadeau en argent ou la cession d’un bien, ou même un legs − prudence! Le cadeau peut être assorti d’une contrainte : une cotisation future de l’ARC.

Mise à jour : 14 September 2023

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