Moore
Bulletin d’avril 2021

Lorsqu’une personne décède, elle est réputée avoir disposé de la plupart de ses immobilisations à leur juste valeur marchande (JVM). Cette disposition réputée peut faire apparaître des gains ou des pertes en capital, selon l’écart entre le coût fiscal des biens et leur JVM du moment.

Les biens acquis à la suite d’un décès – ce qui peut englober les biens de la succession du défunt – le sont à un coût fiscal égal à leur JVM. (Cependant, si les biens sont légués au conjoint ou à la conjointe de droit ou de fait du défunt, un « roulement » libre d’impôt est possible.)

D’ordinaire, il n’y a donc pas double imposition des gains accumulés sur les biens. Par exemple, si la succession vend les biens, le coût fiscal de ces biens sera majoré de telle sorte qu’il n’y aura aucun autre gain en capital, sauf dans la mesure où les biens ont pris de la valeur depuis le moment du décès.

Cependant, un problème de double imposition peut apparaître si les biens sont des actions d’une société, et si la trésorerie ou d’autres actifs de la société sont remis plus tard à la succession.

Dans ce cas, il peut y avoir un gain en capital réputé pour le défunt, et un dividende réputé ultérieur pour la succession.

Heureusement, il existe quelques façons d’éviter ce problème de double imposition.

En premier lieu, une disposition de la LIR permet le report rétroactif des pertes en capital subies par une succession dans sa première année d’imposition sur la dernière année d’imposition du défunt. Ces pertes en capital peuvent être portées en diminution des gains en capital du défunt au moment de son décès du fait de la règle relative à la disposition réputée.

Exemple 1

X est décédé alors qu’il détenait toutes les actions de la société « X ltée ». Le prix de base rajusté des actions pour lui était de 1 000 $, leur capital versé de 1 000 $, et leur JVM au moment du décès de 500 000 $. (Le capital versé relatif à des actions, dont le calcul est assez technique, reflète en général le capital après impôt affecté à l’origine à l’acquisition des actions.)

X sera réputé avoir disposé des actions pour un produit de 500 000 $, ce qui se traduira par un gain en capital de 499 000 $ (le produit de 500 00 $ diminué du prix de base rajusté de 1 000 $). La moitié de ce gain sera incluse dans le revenu de X à titre de gain en capital imposable. L’exonération des gains en capital ne s’applique pas.

Dans la première année d’imposition de la succession, X ltée remet 500 000 $ à la succession lors du rachat des actions. La succession aura un dividende réputé de 499 000 $ (500 000 $ moins le capital versé de 1 000 $ des actions). Cependant, en vertu des règles de la LIR relatives au rachat d’actions, la succession aura une perte en capital correspondante de 499 000 $, qui pourra être reportée en arrière, sur la dernière année de vie de X, et neutraliser ainsi le gain en capital de l’année du décès.

Résultat : la succession est imposée sur le dividende réputé de 499 000 $, mais X a un gain en capital net de zéro de sorte qu’il n’y a pas de double imposition.

Même si cette stratégie est normalement efficace, elle soulève au moins quelques problèmes potentiels.

En premier lieu, si le dividende réputé est assez important, comme dans l’exemple ci-dessus, l’impôt sur le dividende pour la succession sera normalement plus élevé que l’impôt sur le gain en capital réputé au décès, qui serait payable par ailleurs pour le défunt. Le cas échéant, même si la double imposition est évitée, le mécanisme comporte un coût fiscal additionnel.

En second lieu, si X ltée a des actifs comportant des gains accumulés, et que ces actifs sont remis à la succession comme élément du dividende, X ltée pourra être assujettie à l’impôt sur ces gains accumulés. La succession sera elle-même assujettie à l’impôt sur le dividende. Même s’il existe un moyen de réduire l’impôt de X ltée lorsqu’elle verse le dividende réputé (à savoir l’« impôt en main remboursable au titre de dividendes » de la société), le mécanisme ne permet pas toujours de régler complètement le problème de la double imposition potentielle. Si les questions soulevées plus haut posent problème, on peut recourir à la stratégie du « pipeline » et/ou de la « majoration ».

En vertu de la stratégie du pipeline, la succession constitue juridiquement une nouvelle société (« Nouvelle ltée ») et lui transfère en franchise d’impôt les actions de X ltée, en supposant que la valeur de ces actions ne se soit pas accrue depuis le décès de X. Même si les actions de X ltée ont pris de la valeur, toutefois, il est possible de procéder à un transfert libre d’impôt en vertu du « choix prévu à l’article 85 ». La succession recevrait au moins une action de Nouvelle ltée ainsi qu’un billet reflétant la valeur des actions.

De là, quelques options se présentent.

En premier lieu, dans la mesure où ses actifs ont un coût fiscal élevé (ou consistent en trésorerie), X ltée peut les remettre à Nouvelle ltée à titre de dividende intersociétés libre d’impôt.

Comme les actifs ont un coût fiscal élevé (peu de gain en capital accumulé), X ltée ne devrait payer que peu d’impôt, voire aucun, sur le versement du dividende. Nouvelle ltée utilisera ensuite les actifs pour rembourser le billet à la succession, ce qui ne devrait se traduire par aucun autre impôt.

Exemple 2 (pipeline ordinaire)

Reprenons les données de l’exemple 1. Les actifs de X ltée ont un coût fiscal élevé et/ou consistent en trésorerie. La succession constitue juridiquement Nouvelle ltée et lui transfère ses actions de X ltée, prenant en contrepartie une action ordinaire et un billet de 500 000 $.

X ltée remet ses actifs, y compris la trésorerie, à Nouvelle ltée sous la forme d’un dividende intersociétés libre d’impôt. Nouvelle ltée rembourse le billet de 500 000 $ en remettant les actifs à la succession. Il n’y aurait à payer que peu d’autre impôt, voire aucun. Le seul impôt important qui pourrait être dû par X, le défunt, vise les gains en capital apparus dans l’année du décès.

En revanche, si les actifs de X ltée ont un faible coût fiscal au regard de leur JVM, et par conséquent comportent des gains accumulés importants, X ltée pourrait être liquidée et absorbée par Nouvelle ltée ou fusionnée avec elle, opération qui pourrait être réalisée en franchise d’impôt. De plus, en vertu d’une disposition spéciale de la LIR, le coût fiscal des biens non amortissables de X ltée pourrait être « majoré » et porté à leur JVM (pour décrire très sommairement un processus qui comporte divers aspects techniques à prendre en considération). Puis, au moment où les biens sont remis à la succession en remboursement du billet, Nouvelle ltée ne devrait avoir que peu d’impôt à payer, sinon aucun. La succession n’aurait pas, elle non plus, à payer d’impôt sur le remboursement. Malheureusement, la majoration ne s’applique pas aux biens amortissables, de telle sorte que, si la JVM de ceux-ci est supérieure à leur coût fiscal, il pourrait y avoir quelque impôt à payer lors de leur remise.

Exemple 3 (pipeline avec majoration)

Reprenons les données de l’exemple 1, si ce n’est que, dans ce cas, les actifs non amortissables de X ltée ont un faible coût fiscal et, par conséquent, des gains accumulés. Comme dans l’exemple 2, la succession constitue juridiquement Nouvelle ltée et lui transfère ses actions de X ltée, prenant en contrepartie une action ordinaire et un billet de 500 000 $.

Après un certain temps, X ltée est liquidée et absorbée par Nouvelle ltée, ou fusionnée avec celle-ci. En vertu de la disposition spéciale évoquée plus haut, les coûts fiscaux des actifs de X ltée seront normalement majorés et portés à la JVM (sous réserve de certaines limitations). Ensuite, Nouvelle ltée remboursera le billet de 500 000 $ en remettant les actifs à la succession. Comme dans l’exemple 2, il ne devrait y avoir que peu d’autre impôt à payer, sinon aucun.

Le problème potentiel

Le problème susceptible de se présenter met en cause le paragraphe 84(2) de la LIR, qui peut s’appliquer aux stratégies du pipeline. En vertu de cette disposition, lorsque des fonds ou des biens d’une société ont été remis à un actionnaire de cette dernière, ou distribués en sa faveur, lors de la liquidation de son entreprise, de l’abandon de ses activités ou de sa réorganisation, l’actionnaire reçoit un dividende réputé, généralement égal à l’excédent de la valeur des fonds ou des biens sur le montant de la réduction du capital versé relatif aux actions lors de la distribution. Si la disposition s’applique, la succession, dans les exemples du pipeline, peut être assujettie à un impôt sur le dividende réputé.

L’Agence du revenu du Canada (ARC) a publié des décisions anticipées ou opinions favorables sur les opérations de pipeline, mais une période d’attente d’au moins 12 mois est généralement exigée avant que les fonds ou autres actifs soient remis à la succession. L’ARC a affirmé ce qui suit :

« [Traduction non officielle] … dans le contexte de certaines stratégies de pipeline après un décès, entre autres faits et circonstances qui, à notre avis, pourraient susciter l’application du paragraphe 84(2) et justifier le traitement applicable à un dividende, on peut mentionner les éléments suivants :

Les fonds ou biens de la société initiale [X ltée dans les exemples plus haut] seraient remis à la succession peu de temps après le décès du testateur.

Les actifs sous-jacents de la société initiale auraient un caractère de trésorerie et la société initiale n’aurait aucune activité ou n’exploiterait aucune entreprise (« société de trésorerie » — cash corporation).

En présence de telles circonstances, entraînant l’application du paragraphe 84(2) et le traitement de la remise des biens à la succession comme un dividende, nous sommes d’avis que la double imposition au niveau de l’actionnaire pourrait encore être allégée par la mise en application de la stratégie du report rétrospectif des pertes en capital du paragraphe 164(6) [stratégie utilisée dans l’exemple 1 plus haut], dans la mesure où les conditions prévues dans la disposition s’appliqueraient aux faits et circonstances particuliers en cause.

Par conséquent, dans les cas où nous avons rendu des décisions anticipées favorables [quant à des stratégies de pipeline], la situation propre au contribuable et les opérations proposées, entre autres, ne mettaient pas en cause une société de trésorerie et supposaient la poursuite des activités de l’entreprise pour une période d’au moins un an après laquelle une distribution progressive des actifs de la société serait effectuée dans un certain délai. Par conséquent, une ou plusieurs des conditions du paragraphe 84(2) n’étaient pas remplies. » (Gras ajouté.)

Même si les avis de l’ARC n’ont pas un caractère contraignant, il est le plus souvent prudent de respecter les directives qu’ils contiennent pour s’éviter les avis de cotisation et les litiges fiscaux possibles.

Mise à jour : 16 April 2021