Moore
Bulletin de janvier 2020

L’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) est une disposition de « roulement » qui vous permet de transférer un bien à votre société sans conséquences fiscales immédiates. En fait, vous pouvez le transférer sans réaliser de gain, ou en réalisant un gain partiel.

Quand le roulement s’applique

Le roulement s’applique si vous transférez un bien (un bien admissible, selon la description qui suit) à une société canadienne imposable, et recevez en contrepartie du transfert au moins une action.

Vous et la société devez produire un choix conjoint, au plus tard à la date d’échéance de production de votre déclaration personnelle ou de celle de la société, selon la première à survenir, pour l’année du transfert. Il est permis de faire un choix tardif si cela est fait dans les trois années suivant la première des deux dates, ou plus tard si l’ARC l’autorise. Un choix tardif est cependant soumis à des pénalités monétaires.

Les biens admissibles comprennent :

  • des immobilisations, autres que des immeubles détenus par un non-résident (sauf un non-résident qui vend une entreprise dans certaines circonstances);
  • des biens en inventaire autres que des terrains en inventaire; et
  • des biens miniers, canadiens ou étrangers.

Incidence du roulement

Dans le choix conjoint, vous précisez une « somme choisie », qui devient le produit de disposition du bien pour vous et le coût du bien pour la société. Par conséquent, si, par exemple, la somme choisie est égale au coût du bien pour vous aux fins de l’impôt, vous n’aurez ni gain ni perte sur le transfert, ce qui explique pourquoi le transfert s’effectue en franchise d’impôt (un « roulement »).

Cependant, des limites sont imposées à la somme choisie et d’autres règles entrent en jeu comme il est décrit ci-après.

De plus, la somme choisie devient pour vous le coût du bien reçu de la société en contrepartie du transfert du bien. Si vous recevez de la société des actions et une contrepartie autre qu’en actions (un « complément d’échange » ou boot), la somme choisie est attribuée d’abord au complément d’échange, ensuite à toutes les actions privilégiées reçues, et enfin aux actions ordinaires reçues de la société.

Exemple 1

Vous transférez un bien admissible à une société canadienne imposable. Le coût fiscal du bien pour vous était de 100 000 $ et sa juste valeur marchande est de 300 000 $. Vous recevez en contrepartie de la société un complément d’échange d’une valeur de 40 000 $ et 100 actions ordinaires.

Si la somme que vous avez choisie est de 100 000 $, vous n’aurez ni gain ni perte sur le transfert, puisque le coût du bien pour vous était de 100 000 $.

Le coût du bien pour la société est de 100 000 $.

Le coût du complément d’échange pour vous est de 40 000 $. Le coût des actions ordinaires pour vous est de 60 000 $ (la somme choisie de 100 000 $ moins les 40 000 $ attribués au coût du complément d’échange).

Limites de base applicables à la somme choisie

Trois limites de base sont prévues, bien que d’autres règles puissent s’appliquer et modifier ces trois limites.

En premier lieu, la somme choisie ne peut être supérieure à la juste valeur marchande du bien que vous transférez à la société.

En deuxième lieu, sous réserve de la première règle, la somme choisie ne peut être supérieure à la juste valeur marchande du complément d’échange que vous recevez de la société. Comme cette deuxième règle dépend de la première, si la juste valeur marchande du complément d’échange est supérieure à la juste valeur marchande du bien transféré à la société, la somme choisie ne peut être supérieure à ce dernier montant (ce qui peut toutefois entraîner des problèmes fiscaux; voir la rubrique « Autres considérations » ci-après).

En troisième lieu, la somme choisie ne peut généralement pas être inférieure au plus faible de la juste valeur marchande du bien et du coût fiscal du bien. Dans le cas de biens non amortissables, le coût est le prix de base rajusté et, dans celui d’un bien en inventaire, il s’agit du coût d’achat. Le coût des biens appartenant à une catégorie de biens amortissables (admissibles à déduction pour amortissement fiscal), correspond au plus faible du coût en capital non amorti de la catégorie et du coût du bien (sous réserve d’ajustements possibles).

Exemple 2

Comme dans l’exemple 1, vous transférez un bien admissible à une société canadienne imposable. Le coût fiscal du bien pour vous était de 100 000 $ et sa juste valeur marchande est de 300 000 $. Vous recevez en contrepartie de la société un complément d’échange d’une valeur de 40 000 $ et 100 actions ordinaires.

Si vous optez pour une somme choisie de 80 000 $, en vertu de la troisième règle ci-dessus, cette somme sera portée au coût fiscal du bien pour vous, soit 100 000 $. Les résultats seront donc les mêmes que dans l’exemple 1.

Si vous optez pour somme choisie de 320 000 $, en vertu de la première règle ci-dessus, la somme choisie sera ramenée à la juste valeur marchande du bien de 300 000 $. Dans ce cas, votre produit et le coût du bien pour la société seront de 300 000 $ (vous réaliserez donc un gain en capital de 200 000 $). Le coût fiscal du complément d’échange restera pour vous de 40 000 $, et le coût fiscal de vos actions ordinaires sera de 260 000 $ (la somme choisie de 300 000 $, après réduction, diminuée du montant de 40 000 $ attribué au coût du complément d’échange).

Autres considérations

Comme nous l’avons vu, si la juste valeur marchande du complément d’échange que vous recevez de la société est supérieure à la juste valeur marchande du bien que vous avez transféré à la société, le plafond de la somme choisie est ce dernier montant plutôt que le premier montant. Dans ce cas, toutefois, vous devrez inclure dans le calcul de votre revenu la totalité de l’excédent de la juste valeur marchande du complément d’échange sur la somme choisie à titre d’« avantage à un actionnaire », et non à titre de gain en capital, ce qui n’est assurément pas souhaitable.

Disons, par exemple, que vous transférez à la société un bien dont la juste valeur marchande est de 100 000 $, et que vous optez pour la somme choisie de 100 000 $ et recevez 120 000 $ de la société en contrepartie. Dans ce cas, l’excédent de 20 000 $ sera ajouté à votre revenu à titre d’avantage à un actionnaire (en fait, vous aurez extrait une valeur supplémentaire de 20 000 $ de la société et vous devrez payer l’impôt s’y rattachant).

Par ailleurs, si la juste valeur marchande du bien que vous transférez à la société est supérieure au plus élevé de la somme choisie et de la juste valeur marchande du total de la contrepartie reçue de la société, et s’il est raisonnable de conclure que la différence est un avantage que vous souhaitiez conférer à une personne liée, la somme choisie est portée à la juste valeur marchande du bien.

Supposons, par exemple, que vous et votre conjoint (une personne liée) détenez chacun 50 % des actions d’une société. Si vous transférez à la société un bien qui vaut 100 000 $ et que vous optez pour une somme choisie de 80 000 $ et ne recevez en contrepartie que 80 000 $, il peut être raisonnable de conclure que la différence de 20 000 $ est un avantage que vous souhaitiez conférer à votre conjoint, l’autre actionnaire de la société. Le cas échéant, l’excédent de 20 000 $ sera ajouté à la somme choisie, ce qui la portera, ainsi que votre produit de disposition du bien, à 100 000 $.

Transfert d’actions d’une société à une autre société

« Bien admissible » s’entend notamment d’une immobilisation, ce qui peut inclure des actions d’une société.

Vous pouvez donc utiliser le roulement de l’article 85 si vous vendez des actions d’une société (la « société donnée ») à une autre société (l’« acheteur »).

Il peut toutefois en résulter des conséquences fiscales défavorables si vous avez un lien de dépendance avec l’acheteur et qu’après le transfert, l’acheteur contrôle la société donnée ou en détient plus de 10 % des actions sur la base de la juste valeur marchande et des droits de vote. Un acheteur ayant un lien de dépendance peut être, notamment, une société que vous contrôlez ou une société que contrôle une personne liée (conjoint, enfant ou parent).

Dans ce cas, si vous recevez de l’acheteur un complément d’échange en contrepartie partielle ou totale de la vente des actions de la société donnée, l’opération pourrait se solder pour vous par un dividende réputé plutôt qu’un gain en capital. En général, vous aurez un dividende réputé plutôt qu’un gain en capital si la juste valeur marchande du complément d’échange est supérieure au plus élevé du capital versé et de votre prix de base rajusté « brut » relativement aux actions de la société donnée que vous avez transférées. (Cette explication est simplifiée; d’autres calculs peuvent être en cause.) Le capital versé des actions de la société donnée correspond en général aux montants après impôt payés pour les actions lors de leur émission initiale. Pour éviter toute double imposition, le montant du dividende réputé est soustrait de votre produit de disposition des actions de la société donnée.

Exemple

Vous détenez des actions de X ltée ayant un prix de base rajusté et un capital versé de 100 $, et une juste valeur marchande de 100 100 $. Vous transférez les actions à Y ltée, société ayant avec vous un lien de dépendance, et optez pour une somme choisie de 100 100 $, ce qui engendre censément un gain en capital de 100 000 $ (vous pourriez faire ce choix si vous aviez des pertes en capital à porter en diminution du gain, ou si les actions étaient admissibles à l’exonération des gains en capital). Y ltée contrôle alors X ltée.

En contrepartie du transfert, vous recevez des actions de Y ltée et un complément d’échange de 100 100 $.

L’excédent de la valeur de 100 100 $ du complément d’échange sur 100 $, soit 100 000 $, est un dividende réputé. Le produit que vous tirez de la disposition des actions de X ltée est ramené à 100 $.

Mise à jour : 10 January 2020