En juin 2024, sont entrées en vigueur des modifications à la règle générale anti-évitement (RGAÉ), lesquelles ont renforcé le caractère mordant de cette règle, en en élargissant la portée et en instaurant une pénalité pour les opérations jugées dérogatoires.
La RGAÉ est une règle générale de repli susceptible de s’appliquer aux opérations qui, même conformes à la LIR, sont contraires à l’esprit de celle-ci et entraînent un abus ou mauvais usage de ses dispositions.
À titre d’exemple, pensons à une opération qui produirait un résultat non prévu par la Loi, même si ladite opération ne contrevenait à aucune disposition de la Loi.
Dans les cas de réorganisations de sociétés et de successions personnelles, la RGAÉ a une grande importance. Ces types de réorganisations comportent souvent plusieurs opérations distinctes qui, lorsqu’elles sont combinées, peuvent entraîner des économies ou des reports d’impôt, ce que l’ARC n’apprécie pas dans l’un et l’autre cas.
L’ARC peut utiliser la RGAÉ comme mécanisme de sécurité pour sévir en cas d’opérations « abusives » si elle est d’avis qu’une ou plusieurs opérations résultent en un mauvais usage ou un abus de la Loi, en particulier lorsqu’elle n’a pas d’autres pouvoirs lui permettant d’empêcher l’économie ou le report de l’impôt, alors qu’elle estime qu’il y a eu abus de la Loi.
L’une des modifications les plus importantes apportées à la RGAÉ est celle de la définition d’« opération d’évitement » − une opération doit être une opération d’évitement pour être assujettie à la RGAÉ.
Par le passé, il était parfois possible d’éviter qu’une opération soit assujettie à la RGAÉ s’il pouvait être démontré qu’elle avait été conclue pour des « objets véritables », autres que l’obtention d’un avantage fiscal, et que ces motifs constituaient la raison première de la conclusion de l’opération.
Par conséquent, si l’opération avait un but commercial véritable (protection contre les créanciers, restructuration, planification de l’accueil ou de la sortie d’actionnaires, par exemple), le fait qu’elle ait produit un avantage fiscal ne suffisait habituellement pas pour qu’elle soit assujettie à la RGAÉ.
Désormais, conséquence des récentes modifications, une opération peut constituer une opération d’évitement dès lors que « l’un des principaux objets » de ladite opération était l’obtention d’un avantage fiscal.
On peut voir ici une modification subtile de libellé, mais elle élargit considérablement la taille du filet dans lequel peuvent être interceptées les opérations visées par la RGAÉ.
Selon le nouveau libellé, même lorsque l’opération est effectuée pour des objets véritables qui ne sont pas d’ordre fiscal, si elle est également motivée par un avantage fiscal, les buts recherchés véritables ne suffisent pas pour lui éviter le filet de la RGAÉ.
Pour ajouter à l’imbroglio, les conséquences de l’assujettissement d’une opération à la RGAÉ sont désormais bien plus pénalisantes.
Avant les modifications, la seule répercussion véritable du fait qu’une opération fut soumise à la RGAÉ était le refus de l’« avantage fiscal » obtenu par le contribuable.
Le contribuable était donc essentiellement ramené dans la même situation financière que s’il n’avait ni conclu l’opération d’évitement ni obtenu un avantage fiscal.
Une pénalité financière est instaurée pour les opérations assujetties à la RGAÉ.
Cette pénalité est de 25 % de l’impôt additionnel exigé s’il est jugé que la RGAÉ s’applique (c’est-à-dire 25 % de l’avantage fiscal obtenu du fait de l’opération avant le refus de l’avantage en vertu de la RGAÉ).
Même si ces deux modifications sont sans doute les plus importantes, il faut comprendre aussi nombre d’autres modifications apportées aux règles qui peuvent faire également qu’une opération soit assujettie à la RGAÉ.
D’autres modifications ont par ailleurs pour effet de mitiger l’élargissement de la portée de la RGAÉ. Par exemple, la nouvelle pénalité pourrait ne pas s’appliquer si le contribuable divulgue volontairement les détails de l’opération avant que l’ARC en prenne connaissance, résultat que l’ARC souhaite évidemment obtenir.
Il faudra nombre d’années pour que nous découvrions le plein impact de ces modifications. Des opérations seront portées devant les tribunaux pour que soient faites une analyse judiciaire des nouvelles dispositions de la RGAÉ et une évaluation de la façon dont elles s’appliqueront, le cas échéant.
Tant que la pleine portée des règles mises à jour ne sera pas devenue claire, conseillers et contribuables devront faire preuve de prudence au moment de conclure une opération produisant un « avantage fiscal », notamment une économie d’impôt, un report d’impôt ou un remboursement d’impôt plus élevé.
Pour le moment, l’ARC a commencé à publier des conseils à l’égard de situations dans lesquelles elle est d’avis que les nouvelles dispositions de la RGAÉ s’appliqueront et ne s’appliqueront pas.
Par exemple, l’ARC a déjà laissé entendre que des planifications fiscales courantes, comme les gels successoraux (voir notre Bulletin de fiscalité de mars 2024), pourraient ne pas être assujetties à la RGAÉ dans certaines circonstances.
Pour les contribuables qui entament une planification fiscale, il est maintenant plus important que jamais de travailler de concert avec leur conseiller fiscal pour s’assurer que les nouvelles dispositions de la RGAÉ soient prises en compte.
Même si les règles sont complexes, et que leur interprétation est encore pour l’heure largement incertaine, il est très important de bien comprendre les règles et d’essayer de prévoir comment les tribunaux pourraient évaluer une opération proposée du point de vue de la RGAÉ.