Aperçu
La planification successorale englobe plusieurs éléments :
- Vous devez avoir un testament qui tienne compte à la fois de vos souhaits et de votre situation fiscale.
- Vous pouvez vouloir mettre en place des mesures visant à minimiser les droits d’homologation (Estate Administration Tax, dans certaines provinces) à votre décès.
- Vous devez avoir souscrit assez d’assurance pour que soient comblés les besoins de votre famille à votre décès.
- Si vous détenez des actifs dans d’autres ressorts territoriaux ou avez la citoyenneté des États-Unis, vous devez tenir compte des effets des impôts étrangers sur les successions.
- Si vous léguez des biens à vos enfants qui sont mariés ou qui pourraient l’être, vous pouvez prendre en considération les lois provinciales de la famille qui s’appliquent lors de la rupture d’un mariage.
Dans le présent article, nous mettons l’accent sur les aspects impôts sur le revenu de la planification successorale et, plus particulièrement, sur les techniques de « gel successoral » que l’on peut être utiliser dans le but de réduire le coût fiscal d’un décès.
Impôts au décès
Le Canada n’a ni droits successoraux ni impôt sur les héritages, bien que les droits d’homologation provinciaux puissent atteindre 1,5 % de la valeur de votre succession.
La première incidence de l’impôt sur le revenu au décès est la disposition réputée des immobilisations à leur juste valeur marchande. Toutes vos immobilisations (essentiellement, tous vos biens sauf ceux qui font partie d’un inventaire) sont considérées comme ayant été vendues immédiatement avant votre décès à leur valeur marchande du moment. En conséquence, tous les gains en capital accumulés sont constatés et imposés dans votre déclaration de revenus finale, qui est produite par votre liquidateur (ou exécuteur ou fiduciaire).
Les gains en capital sont imposés pour la moitié, ce qui fait que le taux d’imposition de ces gains peut atteindre jusqu’à 27 %, selon votre province de résidence. Dans la planification de votre succession, vous devez supposer que l’impôt qui résultera de la disposition réputée sera substantiel.
Une façon de différer l’impôt à votre décès est de léguer vos biens à votre conjoint ou à une fiducie en faveur du conjoint. À la condition que certaines exigences soient respectées, la disposition réputée à votre décès se fera au coût des biens pour vous plutôt qu’à leur valeur du moment, ce qui fera qu’il n’y aura aucun impôt à payer. Ce coût sera alors transféré à votre conjoint de droit ou de fait (il y aura « roulement ») de telle sorte que l’impôt différé sera effectivement payé au moment du décès de votre conjoint. (En cas de conjoints de fait, la relation doit satisfaire certaines conditions.)
Gel successoral
L’expression gel successoral désigne l’ensemble des mesures prises afin de « geler » la valeur de certains de vos biens à leur valeur du moment, de telle sorte que la croissance future de cette valeur puisse passer à vos enfants ou petits-enfants sans être imposée à votre décès. Cette mesure est particulièrement avantageuse si vous avez une entreprise constituée juridiquement susceptible de prendre beaucoup de valeur dans les années à venir, et à laquelle vos enfants participent activement.
Il existe de nombreuses formes de gel successoral et celle qui conviendra à votre cas particulier dépendra de nombreux facteurs, tels la nature et la valeur de vos biens; la croissance prévue de votre patrimoine; le nombre, l’âge et la situation matrimoniale de vos enfants; votre âge; la disponibilité de l’exonération des gains en capital; vos besoins financiers et ceux de votre conjoint ou conjointe, tant aujourd’hui qu’à la retraite; et de nombreux autres facteurs dont les règles de l’« impôt sur le revenu fractionné » (IRF) entrées en vigueur en 2018.
Nous ne donnons ici qu’un simple exemple d’un gel successoral.
Exemple de gel en vertu de l’article 86
L’exemple le plus simple d’un gel successoral est un gel en vertu de l’article 86 de la LIR. Cet article permet l’échange d’actions de la société appartenant à une catégorie contre des actions d’une autre catégorie sans conséquences fiscales, dans la mesure où toutes les actions de la première catégorie sont échangées.
Supposons que vous exploitez une entreprise constituée juridiquement, XYZ ltée. La société a 1 000 actions ordinaires émises, toutes immatriculées à votre nom. Vous avez investi 1 000 $ au départ dans la société (1 $ par action), et les actions valent maintenant 200 000 $. Vous vous attendez à ce que, dans les années futures, leur valeur puisse grimper jusqu’à 1 M$. Vous avez une fille adulte qui travaille à temps plein dans l’entreprise, et vous voulez qu’elle en hérite.
Si vous léguez simplement vos actions à votre fille dans votre testament, la disposition réputée à votre décès se traduira par un important gain en capital. Si les actions valent effectivement 1 M$ au moment de votre décès, votre succession pourra devoir payer jusqu’à 270 000 $ d’impôts. (Nous supposons ici que les actions ne sont pas admissibles à l’exonération cumulative des gains en capital ou que vous avez épuisé votre exonération.)
Voyons comment vous pouvez recourir à un gel successoral dans cette situation.
Vous échangez vos 1 000 actions ordinaires de XYZ ltée contre 1 000 actions privilégiées (auxquelles se rattachent certaines conditions que nous expliquerons ci-après). Votre fille investit 100 $ dans 100 nouvelles actions ordinaires de XYZ ltée, à 1 $ chacune.
L’objet de l’opération est de « geler » la valeur de votre participation à 200 000 $, sa valeur actuelle. Tout augmentation de cette valeur au-delà du niveau de 200 000 $ ira à votre fille, et non pas à vous. À cette fin, la valeur de vos actions privilégiées devra être fixée à exactement 200 000 $ − valeur qui n’augmentera pas même si la valeur globale de l’entreprise augmente.
Vous souhaitez toutefois conserver le contrôle de l’entreprise aussi longtemps que vous vivrez.
Dans cette perspective, voici comment vous devriez concevoir les actions privilégiées que vous détiendrez :
- Les actions privilégiées seront des actions avec droit de vote. Chaque action privilégiée comportera un droit de vote, et chaque nouvelle action ordinaire comportera un droit de vote. Comme vous détiendrez 1 000 droits de vote au regard des 100 droits de vote de votre fille, vous pourrez élire les membres du conseil d’administration de la société et ainsi conserver le contrôle de celle-ci.
- Les actions privilégiées devraient être rachetables au gré du porteur (vous) au prix de 200 $ chacune, soit 200 000 $ au total. En d’autres termes, vous aurez le droit légal d’obliger la société à vous verser 200 000 $ pour vos actions à n’importe quel moment. Cette mesure établit clairement la valeur des actions − puisque vous pouvez les encaisser pour ce prix au moment de votre choix.
- Les actions privilégiées devront être assorties d’un dividende ayant priorité sur celui des actions ordinaires. Ce dividende peut être laissé à la discrétion des administrateurs de XYZ ltée, ou être fixé par exemple à 6 $ par année par action (soit 3 % de leur valeur), payable chaque trimestre. Le dividende peut être « non cumulatif», de telle sorte que, si XYZ ltée choisit de ne pas déclarer un dividende dans un trimestre quelconque, les dividendes non versés ne feront pas l’objet d’un cumul susceptible d’empêcher que des dividendes soient versés à votre fille sur les actions ordinaires.
Les détails précis de cette démarche doivent être ficelés avec vos conseillers professionnels dans le cadre de votre planification personnalisée. Chaque cas est d’espèce.
Qu’avez-vous accompli jusqu’à maintenant?
- En premier lieu, du fait de l’article 86 de la LIR, il n’y a aucun coût associé à l’échange de vos actions ordinaires contre des actions privilégiées. En d’autres termes, le gain cumulé de 199 000 $ sur vos actions n’est pas imposé pour le moment. (Les actions privilégiées reprennent le prix de base de vos actions ordinaires initiales, ce qui fait qu’elles ont pour vous un coût réputé de 1 000 $.)
- En deuxième lieu, vous avez « gelé » la valeur de votre participation à 200 000 $, puisque les actions privilégiées ne vaudront pas plus que ce montant dans l’avenir. (Elles ne peuvent pas prendre de la valeur en raison du dividende fixe.) Par conséquent, si la valeur de l’entreprise augmente, la croissance sera attribuée aux actions ordinaires. À votre décès, si l’en-treprise vaut 1 M$, vous aurez un gain en capital d’à peine moins de 200 000 $ au lieu d’à peine moins de 1 M$, pour un coût fiscal bien inférieur. (Ici encore, dans le présent exemple, nous omettons de tenir compte de l’exonération des gains en capital sur les actions de sociétés exploitant une petite entreprise.)
- En troisième lieu, vous avez conservé le contrôle de l’entreprise. Vous pouvez continuer d’élire les membres du conseil d’administration qui embauchent les employés et dirigent l’entreprise. Et vous pouvez demeurer le seul administrateur, si vous le souhaitez.
- En quatrième lieu, si vous avez besoin d’un revenu, vous pouvez faire en sorte que les administrateurs de la société déclarent des dividendes sur les actions privilégiées, en sus de tous les salaires, primes ou honoraires de consultation que la société vous verse. Comme les dividendes ne sont pas cumulatifs, vous pouvez également choisir que la société ne vous les verse pas, dans la mesure où des dividendes ne sont pas versés sur les actions ordinaires au cours du même trimestre.
- En cinquième lieu, s’il arrive que vous ayez besoin de capital, vous pouvez faire en sorte que la société rachète les actions pour 200 000 $. Il en résultera pour vous un « dividende réputé » de 199 000 $, sur lequel vous paierez un impôt pouvant atteindre environ 40 %. (Votre fille conserverait ainsi le plein contrôle de la société.)
Les possibilités sont illimitées
La démarche décrite ci-dessus n’est qu’un exemple. Un gel successoral peut être beaucoup plus complexe que cela, et faire appel à des éléments tels des fiducies familiales détenant des actions pour vos enfants, des « roulements en vertu de l’article 85 » permettant le transfert d’actions ou de biens à une société de portefeuille; la cristallisation de l’exonération des gains en capital sur les actions de sociétés exploitant une petite entreprise, et maintes autres techniques.
La LIR comporte toutefois de nombreux pièges et écueils qu’il vous faudra surveiller, notamment les règles d’attribution, l’IRF, les dividendes réputés, les règles sur la minimisation des pertes, les règles relatives au dépouillement des bénéfices, les règles relatives au dépouillement des gains en capital, et autres complexités trop nombreuses pour être exposées ici.
Si vous détenez d’importants actifs qui sont constitués juridiquement en société, ou pourraient l’être, il vous faut absolument explorer les façons de mettre votre patrimoine à l’abri des coûts fiscaux importants qui risquent de se matérialiser à votre décès.