Moore
Bulletin de décembre 2019

Aperçu général

La planification successorale comprend un certain nombre d’aspects :

  • Vous devriez avoir un testament qui tienne compte à la fois de vos souhaits et des considérations fiscales.
  • Vous pourriez envisager les mesures à prendre pour minimiser les frais d’homologation (Impôt sur l’administration des successions dans certaines provinces) à votre décès.
  • Vous devriez avoir une assurance suffisante pour couvrir les besoins de votre famille à votre décès.
  • Si vous détenez des biens dans d’autres pays ou collectivités territoriales ou si vous êtes citoyen des États-Unis, vous devez tenir compte de l’incidence des impôts étrangers.
  • Si vous léguez des biens à vos enfants qui sont mariés ou pourraient l’être, vous pouvez faire en sorte de tenir compte des lois provinciales sur la famille qui s’appliqueraient en cas de rupture de leur mariage.

Dans le présent article, nous mettons l’accent sur les aspects fiscaux de la planification successorale et, plus précisément, sur les techniques de « gel successoral » disponibles pour réduire le coût fiscal d’un décès.

Impôts au décès

Le Canada n’a pas d’impôt sur les successions ou les héritages, bien que certains des « frais d’homologation » provinciaux (Impôt sur l’administration des successions) puissent aller jusqu’à 1,5 % de la valeur de votre succession.

La première incidence de votre décès en matière d’impôt sur le revenu est la disposition réputée de vos immobilisations à leur juste valeur marchande. Toutes vos immobilisations (essentiellement tous vos biens sauf ceux faisant partie de l’inventaire d’une entreprise) sont traitées comme si elles avaient été vendues immédiatement avant votre décès à leur valeur du moment. Par conséquent, tous les gains en capital accumulés sont constatés et imposés dans votre dernière déclaration de revenus, qui est produite par votre liquidateur. Au même moment, vos pertes en capital accumulées sont également constatées dans votre dernière déclaration de revenus.

La moitié des gains en capital est imposée, de telle sorte que le taux d’impôt sur ces gains peut aller jusqu’à 27 %, selon votre province de résidence. Dans la planification en vue de votre décès, si vous détenez des biens assortis d’importants gains accumulés, vous devez vous attendre à ce que l’impôt qui résultera de leur disposition réputée soit important.

Une façon de différer l’impôt à votre décès est de léguer ces biens à votre époux ou épouse ou à une fiducie admissible au profit de votre époux ou épouse. Dans la mesure où certaines exigences sont satisfaites, la disposition réputée à votre décès se fera au coût des biens pour vous plutôt qu’à leur valeur du moment, si bien qu’il n’y aura aucun impôt à payer. Ce coût sera transféré (« roulé ») à votre époux ou épouse, de telle sorte que l’impôt différé sera effectivement payé au décès de ce dernier. (Les mêmes règles s’appliquent à un « conjoint de fait », si l’union remplit certaines conditions.)

Gel successoral

L’expression gel successoral regroupe les mesures mises en œuvre pour « geler » certains de vos biens à leur valeur actuelle, de telle sorte que la croissance future puisse aller à vos enfants ou petits-enfants plutôt que d’être imposée à votre décès. Le gel successoral est particulièrement intéressant si vous avez une société constituée dont vous attendez une croissance importante dans les années futures, et à laquelle vos enfants participent activement.

Il y a de multiples formes de gel successoral, et celle qui vous convient dépend de nombreux facteurs, tels la valeur et la nature de vos biens; la croissance attendue de votre patrimoine; le nombre, l’âge et la situation matrimoniale de vos enfants; votre âge; la possibilité d’exonération de gains en capital; vos besoins financiers et ceux de votre conjoint, maintenant et à la retraite; et de nombreux autres facteurs dont les règles relatives au nouvel « impôt sur le revenu fractionné » (IRF) entrées en vigueur en 2018.

Le cas suivant n’est qu’un exemple d’un tel gel successoral.

Exemple  gel en vertu de l’« article 86 »

Notre exemple porte sur la forme de gel la plus simple. L’article 86 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) permet l’échange d’une catégorie d’actions d’une société pour une autre catégorie d’actions sans aucune conséquence fiscale, dans la mesure où toutes les actions de la première catégorie sont échangées.

Supposons que vous dirigiez une entreprise constituée en société, XYZ ltée. La société a 1 000 actions ordinaires émises, toutes immatriculées à votre nom. Vous avez investi au départ 1 000 $ dans la société (1 $ par action), et les actions valent maintenant 200 000 $. Vous prévoyez que, dans quelques années, elles pourraient valoir près de 1 M$. Vous avez une fille adulte qui travaille à temps plein dans l’entreprise, et vous souhaitez qu’elle en hérite.

Si vous léguez simplement vos actions à votre fille dans votre testament, la disposition réputée à votre décès engendrera un gain en capital important. Si les actions valent effectivement 1 M$ au moment de votre décès, votre succession pourra devoir payer jusqu’à 270 000 $ d’impôt.

Voyons comment vous pourriez utiliser un gel successoral dans cette situation.

Vous échangez vos 1 000 actions ordinaires de XYZ ltée pour 1 000 actions privilégiées (comportant les conditions que nous expliquerons plus loin). Votre fille investit alors 100 $ dans 100 nouvelles actions ordinaires de XYZ ltée, à 1 $ chacune.

Le but est de « geler » la valeur de votre participation à 200 000 $, soit la valeur actuelle des actions. Toute augmentation de valeur au-delà du niveau de 200 000 $ ira à votre fille, et non à vous. Par conséquent, vos actions privilégiées doivent être libellées de façon à avoir une valeur de 200 000 $ exactement – laquelle n’augmentera pas même si la valeur globale de la société croît.

Cependant, vous souhaitez conserver le contrôle de la société aussi longtemps que vous vivrez.

En ayant tout cela à l’esprit, voici comment vous pourriez concevoir les actions privilégiées que vous détiendrez.

  • Les actions privilégiées seront des actions avec droit de vote. Chaque action privilégiée devrait comporter 1 droit de vote, et chaque nouvelle action ordinaire pourrait comporter 1 droit de vote (même s’il est envisageable que les actions ordinaires soient sans droit de vote). Comme vous détiendrez 1 000 droits de vote et votre fille, 100, vous pourrez élire les membres du conseil d’administration et continuer ainsi de contrôler la société.
  • Les actions privilégiées devraient être rachetables, au gré du porteur (vous), pour 200 $ chacune, ou 200 000 $ au total. En d’autres mots, vous aurez le droit légal de forcer la société à vous payer 200 000 $ pour vos actions à n’importe quel moment. La valeur des actions est ainsi clairement établie – puisque vous pouvez les monnayer au moment de votre choix.
  • Les actions privilégiées doivent être assorties d’un dividende ayant priorité sur celui des actions ordinaires. Le dividende pourrait être laissé à la discrétion des administrateurs de XYZ ltée, ou encore fixé, par exemple à 6 $ par année par action (soit 3 % de leur valeur), et payable trimestriellement. Le dividende peut être « non cumulatif » de telle sorte que, si XYZ ltée choisit de ne pas déclarer de dividende dans un trimestre donné, les dividendes non versés ne s’accumuleront pas, ce qui pourrait empêcher que des dividendes soient versés à votre fille sur les actions ordinaires.

Les détails précis de l’opération doivent être peaufinés avec vos conseillers professionnels dans le cadre de votre plan fiscal personnalisé. Chaque situation est un cas d’espèce.

Qu’avez-vous alors accompli?

  • En premier lieu, du fait de l’article 86 de la LIR, l’échange de vos actions ordinaires pour des actions privilégiées ne comporte aucun coût. En d’autres mots, le gain accumulé de 199 000 $ sur vos actions n’est pas imposé pour le moment. (Les actions privilégiées reprennent le prix de base de vos actions ordinaires originelles, et elles ont donc un coût réputé pour vous de 1 000 $.)
  • En deuxième lieu, vous avez « gelé » à 200 000 $ la valeur de votre investissement puisque les actions privilégiées ne vaudront que ce montant dans l’avenir. (Elles ne peuvent prendre de la valeur à cause du dividende fixe.) Par conséquent, si la valeur de l’entreprise augmente, la croissance sera attribuée aux actions ordinaires. À votre décès, si l’entreprise vaut 1 M$, vous aurez un gain en capital tout juste inférieur à 200 000 $, plutôt que tout juste inférieur à 1 M$, ce qui fait que le coût fiscal sera largement inférieur. (Nous ne tenons pas compte de l’exonération des gains en capital sur les actions de sociétés exploitant une petite entreprise aux fins de cet exemple.)
  • En troisième lieu, vous avez conservé le contrôle de l’entreprise. Vous pouvez continuer d’élire les membres du conseil d’administration qui embauchent les employés et dirigent l’entreprise. Et vous pouvez demeurer le seul administrateur, si vous le souhaitez.
  • En quatrième lieu, si vous avez besoin d’un revenu, vous pouvez obtenir des administrateurs de la société qu’ils déclarent des dividendes sur les actions privilégiées, en plus d’un salaire, d’une gratification ou d’honoraires de conseil que la société est susceptible de vous verser. Comme les dividendes ne sont pas cumulatifs, vous pouvez également choisir que la société ne vous les paie pas, dans la mesure où elle ne paie pas de dividendes sur les actions ordinaires au cours du même trimestre.
  • En cinquième lieu, si vous deviez avoir besoin du capital, vous pourriez exiger de la société qu’elle rachète les actions pour 200 000 $. (Il en résulterait pour vous un « dividende réputé » de 199 000 $, sur lequel vous paieriez un impôt pouvant aller jusqu’à environ 40 %.)

Les possibilités sont illimitées…

Ce qui précède n’est qu’un exemple. Les gels successoraux peuvent être beaucoup plus complexes, et peuvent faire intervenir des mécanismes tels que des fiducies familiales détenant des actions pour vos enfants; des « roulements en vertu de l’article 85 » selon lesquels vous transférez des actions ou des biens à une société de portefeuille; la cristallisation de l’exonération des gains en capital sur les actions de sociétés exploitant une petite entreprise; et nombre d’autres mesures.

Il y a toutefois dans la LIR de nombreux pièges techniques et écueils à surveiller. Pensons aux règles d’attribution, à l’IRF, aux dividendes réputés, aux règles relatives à la minimisation des pertes, au dépouillement des bénéfices, au dépouillement des gains en capital, et à d’autres règles trop nombreuses et obscures pour en faire mention ici.

Si vous avez des biens importants qui font ou peuvent faire l’objet d’une constitution en société, vous devriez assurément explorer les diverses façons de protéger votre succession des coûts fiscaux majeurs à votre décès.

Mise à jour : 13 December 2019