Une cause cruciale pour qui traite des abris fiscaux est Liang c. La Reine, au terme de laquelle jugement a été rendu le 7 juin 2022. Dans cette cause, sont abordés quelques-uns des enjeux les plus importants relatifs aux abris fiscaux, dont les calculs servant d’assise à l’abri fiscal, l’admissibilité à la déduction pour perte d’entreprise et les pénalités associées à de fausses déclarations. Non seulement cette affaire permet de sensibiliser les lecteurs aux notions de base en matière d’abris fiscaux, mais elle se veut une mise en garde pour les lecteurs qui n’ont pas déjà recours à ces abris fiscaux dans les faits et qui hésitent à consulter un fiscaliste pour la mise en place d’un tel mécanisme.
Les faits :
Au moment de sa retraite, M. Billy Liang a constitué une société, Pony Pictures Inc., dans le but apparent de satisfaire sa passion pour le cinéma. Pony a demandé un numéro d’inscription d’abri fiscal en vertu du paragraphe 237.1(2) de la LIR.
Point capital à souligner : la demande d’un numéro d’inscription d’abri fiscal en vertu du paragraphe 237.1(2) est une procédure administrative; elle ne valide pas l’abri fiscal, comme l’appelant l’a appris à ses dépens dans cette cause!
M. Liang a retiré 30 000 $ de son fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) chaque année pendant 13 ans, et a investi cet argent dans une société professionnelle en gestion financière, malgré le fait que les fonds aient été présentés comme étant destinés aux dépenses de Pony. Si les fonds étaient destinés à Pony, ils auraient dû servir aux activités de Pony, ce qui n’a pas été le cas. Pony a rempli le formulaire T5004, « Demande des pertes et des déductions rattachées à un abri fiscal », demandant 30 000 $ pour chacune des 13 années d’imposition. Pony a de plus rempli et soumis le formulaire T5003, « État des renseignements sur un abri fiscal » indiquant une perte de 30 000 $ pour chacune des années d’imposition.
Dans le calcul de son revenu imposable pour chacune de ces années, M. Liang demandait des déductions de 30 000 $ à la ligne 232, « Autres déductions », dans sa déclaration annuelle. Depuis sa création, Pony n’avait jamais réalisé de films et n’avait jamais fait de travaux importants pour lancer la production d’un film. En fait, l’abri fiscal servait à mettre à l’abri de l’impôt les retraits obligatoires du FERR de M. Liang.
Pénalités imposées et appel rejeté
En conséquence, l’ARC a revu les déclarations de revenus de M. Liang, et refusé ses autres déductions. L’ARC, au nom du Ministre concerné, a imposé à M. Liang des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR pour avoir fait sciemment une fausse déclaration ou une omission dans ses déclarations de revenus. M. Liang a fait appel de cette décision auprès de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), qui a rejeté son appel relatif aux pénalités.
Enjeux de la cause
Quatre enjeux clés ont été étudiés par la cour dans cette cause. Ils intéresseront tous les lecteurs du présent article, puisque des stratagèmes fiscaux aussi douteux abondent sur le marché.
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L’appelant avait-il le droit de déduire les 30 000 $ à titre d’autres déductions dans chaque année d’imposition?
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L’appelant avait-il le droit de déduire des pertes/dépenses d’entreprise comme il l’a fait pour chaque année d’imposition?
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Le Ministre a-t-il eu raison d’imposer l’appelant pour l’année d’imposition 2014 au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, en vertu du paragraphe 152(4) de la LIR?
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Le Ministre a-t-il eu raison d’imposer des pénalités pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR pour les années d’imposition concernées?
Question 1 : Abri fiscal : L’appelant avait-il le droit de déduire les 30 000 $ à titre d’autres déductions dans chaque année d’imposition?
Pour répondre à cette première question, la cour a analysé la validité de l’abri fiscal. Ce qui constitue un « abri fiscal » valide est décrit à l’article 237.1 de la LIR. Pour faire court, nous ne reproduisons pas ici l’entière définition, mais abrégeons et clarifions sa signification dans les lignes qui suivent.
Citation abrégée :
Un « abri fiscal » s’entend d’un :
« b) […] bien (y compris le droit à un revenu), […] pour lequel il est raisonnable de considérer, compte tenu de déclarations ou d’annonces faites ou envisagées relativement […] au bien, que, si une personne devait […] acquérir une part dans le bien, […] à la fin d’une année d’imposition qui se termine dans les quatre ans suivant le jour où[…] la part [est] acquise […] ».
On trouve une bonne description très simple de l’abri fiscal dans un autre jugement important, à savoir au paragraphe 254 de Paletta c. La Reine. Le juge Hogan y affirme que les conditions suivantes doivent être satisfaites pour qu’un bien soit considéré comme un abri fiscal :
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Il doit y avoir un bien pour lequel des déclarations et des annonces sont faites ou proposées.
Analyse : Un bien, ou actif quelconque, doit être désigné dans un abri fiscal.
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Ces déclarations et annonces doivent être faites par un « promoteur ».
Analyse : Les déclarations et annonces doivent être faites par un « promoteur ». L’ARC définit ce qu’est un « promoteur ». Il s’agit du promoteur d’un abri fiscal qui, dans le cours des activités de son entreprise :
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émet ou vend l’abri fiscal ou fait la promotion de son émission, de sa vente ou de son acquisition,
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agit à titre de mandataire ou de conseiller pour ces activités,
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accepte, à titre de principal ou de mandataire, une contrepartie relativement à l’abri fiscal.
Une personne qui s’adonne à de telles activités promotionnelles de vente d’un abri fiscal et reçoit une contrepartie est un « promoteur », et ce dernier doit être celui qui fait les déclarations et annonces.
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Il doit être raisonnable de considérer, compte tenu des déclarations ou des annonces, qu’il existe une somme qui est présentée comme étant déductible à l’égard du bien.
Analyse : Un montant raisonnable est déductible à l’égard du bien. Ce ne serait donc pas un montant exorbitant qui n’aurait aucune signification commerciale si une personne devait avoir la possession du bien.
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La somme déclarée comme étant déductible doit être supérieure ou égale au coût de l’investisseur dans le bien moins les « avantages à recevoir ».
Calculs
Un point crucial mentionné par la CCI à l’égard des abris fiscaux résidait dans les calculs.
L’appelant avait retiré chaque année 30 000 $ de son FERR, somme qu’il avait portée aux autres déductions. Ainsi, le coût d’acquisition du bien mis à l’abri était de 30 000 $ chaque année. Le montant de l’excédent de ces pertes, déductions ou crédits d’impôt sur le coût de 30 000 $, diminué des avantages à recevoir, était nul.
Si les pertes ou déductions associées à l’abri fiscal ne dépassent pas le coût de l’abri fiscal diminué du coût d’achat du bien visé, les pertes ne peuvent être déduites ni les déductions, demandées!
Conclusion quant à la définition d’abri fiscal
À la fin d’une année d’imposition qui se termine dans les quatre années suivant l’acquisition par l’acheteur du bien visé, le dit acheteur peut déduire de son revenu un montant qui serait égal ou supérieur au coût d’acquisition du bien à la fin de l’année d’imposition moins les avantages à recevoir. Cette définition exclut les ententes relatives à des actions accréditives ou à certains biens visés par règlement.
Question 2 : L’appelant avait-il le droit de déduire des pertes/dépenses d’entreprise comme il l’a fait pour chaque année d’imposition?
Pour répondre à cette question, la cour a analysé le processus en deux étapes confirmées par la Cour suprême du Canada pour apprécier la déductibilité des pertes d’entreprise :
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L’activité vise-t-elle la réalisation d’un bénéfice, ou est-ce une activité personnelle?
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S’il ne s’agit pas d’une activité personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?
Dans le cas de M. Liang, pour le point a., la CCI a cherché à savoir s’il existait bien une source de revenu. L’entreprise n’avait qu’une existence nominale, pour ne pas dire qu’elle n’existait pas; M. Liang a donc raté la première étape. Comme il ne pouvait pas prouver que ses activités visaient la réalisation d’un bénéfice, la déduction de ses pertes d’entreprise lui a été refusée.
À noter : Le processus en deux étapes est le critère utilisé pour l’appréciation de la déductibilité d’une perte d’entreprise. Si vous déduisez des pertes d’entreprise, assurez-vous qu’elles satisfont bien ces critères. Même s’il s’agit d’un processus en deux étapes, la première est un test décisif crucial et, souvent, lorsqu’une personne échoue à prouver son point de vue, comme lorsque son argument de la réalisation d’un bénéfice est battu en brèche, les activités sont étiquetées comme étant de nature personnelle.
Question 3 : Le Ministre a-t-il eu raison d’imposer l’appelant pour l’année d’imposition 2014 au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, en vertu du paragraphe 152(4) de la LIR?
Cette question est importante : elle concerne la croyance répandue chez les contribuables suivant laquelle l’ARC ne peut auditer que les trois années précédentes. Cela est juste, si ce n’est de l’exception suivante, particulièrement importante, que doivent noter nos lecteurs.
Il se trouve que, si le Ministre peut prouver que la fausse déclaration était imputable à de la négligence, à une inattention ou à une omission volontaire, il peut outrepasser la période normale de nouvelle cotisation et imposer les années précédentes au-delà de la période normale de nouvelle cotisation de trois ans. Ne vous fiez pas trop à la période de trois ans!
Dans ce cas, le juge a affirmé que M. Liang avait de toute évidence mal exposé sa situation, que ses dépenses n’étaient clairement pas des dépenses d’entreprise pour diverses raisons, et que l’ARC était justifiée d’aller au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. Dans son appréciation, le juge a pris en considération les faits pertinents de la cause, constatant que M. Liang était un homme intelligent qui s’était renseigné sur les abris fiscaux. En revanche, si la situation avait été inverse, et que M. Liang avait fait preuve d’inintelligence à ce chapitre, cela n’aurait peut-être pas été considéré comme un argument de défense valable car il est aussi question d’inattention et d’omission volontaire au paragraphe 152(4).
Question 4 : Le Ministre a-t-il eu raison d’imposer des pénalités pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR pour les années d’imposition concernées?
Le paragraphe 163(2) de la LIR permet au Ministre d’imposer des pénalités pour faute lourde si une personne fait, sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, un faux énoncé ou une omission ou y participe, y consent ou y acquiesce, dans sa déclaration.
Dans ce cas, compte tenu en particulier de la prépondérance des probabilités, il était clair pour le juge que l’appelant recourait à l’abri fiscal pour protéger les retraits obligatoires de son FERR et son appel fut donc rejeté.
Conclusions générales
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Le numéro d’inscription d’abri fiscal ne confère pas de légitimité à l’abri. Il est donc préférable que le contribuable consulte des professionnels, comptables et avocats lors de la mise en place du mécanisme. Les conseils ne doivent pas être ceux du promoteur de l’abri qui aura un intérêt partial dans la vente de l’abri fiscal.
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Un abri fiscal valable doit respecter une série de critères. Il n’est pas facile de mettre en place un abri fiscal et il faut, en conséquence, procéder avec circonspection, en pleine connaissance des règles pertinentes ainsi que de leurs conséquences, et avec les conseils d’un expert!
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L’ARC peut aller au-delà de la période de nouvelle cotisation de trois ans dans l’évaluation de la déclaration de revenus d’une personne si elle croit que cette personne a agi par négligence, inattention ou une omission volontaire.
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En tenant compte de la prépondérance des probabilités, le Ministre peut imposer des pénalités pour faute lourde ou pour faux énoncés ou omission, à la personne ou aux personnes concernées. Il est donc plus facile pour l’ARC d’imposer des pénalités. N’entretenez pas l’illusion qu’une personne doit être reconnue coupable au-delà du doute raisonnable, car nous ne sommes pas en droit criminel.