Les personnes souhaitant céder une entreprise familiale à la génération suivante se heurtaient, jusqu’à récemment, à un problème fiscal, à savoir la disponibilité (ou, plus précisément, la non-disponibilité) de l’exonération cumulative des gains en capital.
Les personnes souhaitant céder une entreprise familiale à la génération suivante se heurtaient, jusqu’à récemment, à un problème fiscal, à savoir la disponibilité (ou, plus précisément, la non-disponibilité) de l’exonération cumulative des gains en capital.
L’exonération cumulative des gains en capital permet actuellement à une personne de tirer, en franchise d’impôt, jusqu’à 971 190 $ de gains en capital de la vente de certaines actions. (Ce montant, qui est celui de 2023, est automatiquement majoré chaque année pour tenir compte de l’inflation.)
Cependant, même si la vente d’actions admissibles à des personnes qui ne sont pas des proches permet de bénéficier de cette exonération, les ventes à des personnes « liées » (membres de la famille immédiate, petits-enfants, etc.) n’y donnaient pas droit jusqu’à récemment.
Ce traitement était jugé injuste et, dans certains cas, considéré comme une barrière au maintien de l’entreprise dans la famille.
Par exemple, lors de la vente d’une entreprise en Ontario, chaque actionnaire, s’il est admissible à l’exonération des gains en capital, peut économiser jusqu’à 260 000 $ d’impôt en se prévalant de l’exonération.
Cette économie d’impôt, qui n’était pas disponible si l’entreprise était conservée dans la famille, pourrait avoir influencé la décision de vendre lorsque l’un des parents avait décidé de se retirer de l’entreprise.
Pour corriger cette malheureuse situation, un projet de loi privé − le C-208 − a été soumis au Parlement en 2021, dans le but de faire en sorte que la vente de certaines entreprises à des enfants adultes donne enfin droit à l’exonération des gains en capital.
Le projet de loi visait à placer les ventes authentiques d’entreprises à la génération suivante sur le même pied, en termes d’économies fiscales, que les ventes à des tierces parties.
Dans le cadre de ce processus de nivellement des chances, il était prévu que le père ou la mère serait tenu(e) de vendre la plupart, sinon la totalité, de ses actions. Le contrôle de l’entreprise devait en outre être cédé, comme dans le cas d’une vente à des tiers.
Le Parlement a adopté le projet de loi C‑208 malgré l’opposition du ministère des Finances et du gouvernement (minoritaire) libéral. Même si le projet de loi C‑208 était bien intentionné, son libellé n’était pas aussi précis qu’il aurait dû l’être, ce qui, aux dires de beaucoup, ouvrait une « échappatoire » aux règles.
Plutôt que de s’appliquer aux seules ventes pures et simples d’entreprises, les règles permettaient aux parents de ne céder à leurs enfants qu’une partie de leurs actions, et de demander l’exonération des gains en capital à laquelle ils prétendaient. De plus, le père ou la mère n’avait pas l’obligation de céder le contrôle de l’entreprise.
Ainsi le père ou la mère pouvait ne vendre que le nombre d’actions nécessaire, et pas davantage, pour se prévaloir de l’exonération des gains en capital.
Par conséquent, lorsqu’une entreprise familiale était détenue par un tandem père‑mère, ces derniers pouvaient retirer sans impôt presque 2 M$ de la plus‑value de l’entreprise sans devoir la vendre ou en céder le contrôle.
On annonçait, dans le budget de 2023, que les règles seraient modifiées afin de mettre un terme à cette situation. Le père et la mère seraient toujours en mesure de demander l’exonération des gains en capital à laquelle ils ont droit à l’égard de la vente à leurs enfants des actions de l’entreprise familiale; le contrôle devrait toutefois être cédé sans conditions à l’enfant qui serait tenu par ailleurs de participer activement aux activités de l’entreprise depuis le moment de la vente (ce qui n’est pas exigé aux termes des règles actuelles).
Les règles révisées prévoient le choix entre deux périodes temporelles pour la cession du contrôle par le père ou la mère : une période de trois ans et une période de cinq à dix ans.
Dans les deux cas, le père ou la mère doit obligatoirement céder la majorité de ses actions avec droit de vote (et, en conséquence, le contrôle de l’entreprise) à l’enfant au moment de la vente.
Le père ou la mère doit céder le reste des actions ainsi que la gestion de l’entreprise (sous réserve de quelques exceptions) dans les trois ou cinq années suivantes, selon la période choisie.
Même si ces conditions sont plus restrictives que les règles actuelles, l’éventail des personnes liées qui peuvent acheter l’entreprise est élargi du coup pour inclure les neveux et nièces (de même que les arrière-neveux et nièces). Tout cela accroît la souplesse avec laquelle la transmission d’une entreprise peut s’opérer à l’intérieur de la famille.
Les règles qui ont pour effet de rendre les ventes d’entreprises admissibles à l’exonération des gains en capital, tant avant qu’après l’entrée en vigueur des règles révisées, sont complexes.
Les actions doivent être celles d’une « société exploitant une petite entreprise admissible », dont la définition comporte elle‑même des exigences précises.
La plupart des actifs détenus par l’entreprise doivent être utilisés dans celle-ci (plutôt que de consister, par exemple, en excédent de trésorerie ou en placements sans lien avec l’entreprise). Le père ou la mère doit aussi détenir les actions depuis deux ans avant la vente.
Certaines entreprises peuvent ne pas respecter ces exigences dans l’immédiat, ce qui signifie que les parents peuvent devoir attendre jusqu’à deux ans avant de céder l’entreprise. Dans certains cas, une planification préalable à la vente peut être envisagée de manière que les critères soient respectés, s’ils ne le sont pas déjà.
Des exigences strictes sont également définies concernant les choix en vue de l’admissibilité de la vente à l’exonération des gains en capital, et le laps de temps pendant lequel l’enfant doit détenir les actions et participer activement aux activités de l’entreprise après la vente.
Par exemple, après avoir acheté les actions, l’enfant ne peut les revendre immédiatement à une autre personne. S’il le fait, la demande d’exonération des gains en capital sera refusée au père ou à la mère, qui devra payer l’impôt sur le plein montant du gain précédemment réalisé.
Pour la mise en application de ces exigences, les règles révisées étendent la période qui est accordée à l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour établir un avis de nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition du père ou de la mère au cours de laquelle a eu lieu la cession à l’enfant.
Normalement, l’ARC a trois ans à compter de la date à laquelle elle délivre un avis de cotisation pour une année d’imposition. Cette période doit toutefois être prolongée de trois autres années si la période de transmission choisie est celle de trois ans, et de dix ans de plus si la période de transmission est celle de cinq à dix ans.
Ce délai permet à l’ARC de surveiller la participation de l’enfant aux activités de l’entreprise après la vente, et de refuser rétroactivement le traitement en franchise d’impôt des gains en capital réalisés par le père ou la mère si l’enfant ne continue pas de contrôler la société, ou de demeurer actif dans sa gestion.
Les règles révisées doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Les règles actuelles continuent de s’appliquer jusqu’à la fin de la présente année.
Même si les règles actuelles ne fonctionnent pas comme prévu à l’origine, cela ne signifie pas qu’elles soient invalides. Jusqu’à ce que les règles révisées prennent effet, on peut se prévaloir des règles actuelles pour transmettre à un enfant adulte la valeur dans l’entreprise familiale (l’élargissement aux neveux et nièces n’est pas encore en vigueur).
De plus, les règles actuelles n’obligent pas les parents à céder le contrôle de l’entreprise. Tout ce qu’elles exigent est que les actions du père ou de la mère soient vendues à un enfant adulte (plus précisément, à une société contrôlée par l’enfant adulte), et que ces actions soient détenues par l’enfant pendant au moins 60 mois.
Par exemple, si l’entreprise familiale vaut au moins 1 M$, le père pourrait vendre des actions sans droit de votre à l’enfant et conserver les actions avec droit de vote (gardant ainsi le contrôle de l’entreprise). Il pourrait être envisageable de planifier la vente d’une façon qui permette à l’enfant d’acheter les actions sans avoir les liquidités immédiates nécessaires à l’acquisition.
Comme vous pouvez vous y attendre, ce type de vente s’inscrit dans la catégorie des planifications fiscales « complexes »! Que ce soit en vertu des règles actuelles ou des règles révisées, le cédant doit respecter plusieurs exigences pour demander et obtenir l’exonération des gains en capital. Omettre de se conformer à l’une ou l’autre de ces exigences pourrait entraîner pour lui le refus de la demande d’exonération, ce qui rendrait la vente pleinement imposable.
Pour obtenir des conseils sur la cession de votre entreprise à la génération suivante d’une façon qui vous permette de demander l’exonération des gains en capital, adressez‑vous à un conseiller fiscal expérimenté ou à un avocat en fiscalité.