Moore
Bulletin de février 2021

Le système de l’impôt sur le revenu canadien repose sur un régime de taux d’imposition à taux progressif, ce qui signifie que, plus élevé est votre revenu imposable, plus élevé est le taux d’impôt qui s’applique à ce revenu, ou plus élevée est la tranche d’imposition dans laquelle il s’inscrit.

À cet égard, si vous vous situez dans une tranche d’imposition élevée et qu’un membre de votre famille se situe dans une tranche d’imposition faible, il est évident qu’il y aurait avantage à ce que vous transfériez une partie de votre revenu à cette personne. Par exemple, si vous êtes dans une tranche de revenu imposée à 50 % et que votre conjoint (de droit ou de fait) est dans une tranche imposée à 20 %, et si vous avez la possibilité de transférer 40 000 $ dans sa déclaration de revenus, votre famille pourrait économiser 12 000 $ d’impôt sur le revenu [40 000 $ x (50 % − 20 %)].

Au surplus, tous les contribuables canadiens obtiennent au moins un crédit d’impôt, soit le crédit d’impôt personnel de base. Ce crédit a concrètement pour effet d’exonérer de l’impôt environ 13 000 $ de revenu imposable (le montant réel diffère d’une année à l’autre, puisqu’il est indexé sur l’inflation et que les montants provinciaux varient).

D’importantes restrictions limitent cependant le fractionnement du revenu entre les membres d’une famille.

Par exemple, vous ne pouvez simplement faire en sorte qu’une partie de votre revenu d’emploi ou de votre revenu d’entreprise soit versée à votre conjoint ou à vos enfants dans l’intention de fractionner votre revenu. Des règles de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) couperont court à ce manège et feront que ce revenu sera imposé aux taux d’impôt s’appliquant à vous.

Fait peut-être plus important encore, des règles d’attribution du revenu peuvent viser la plupart des formes de revenu de placement passif. Ces règles peuvent entrer en jeu lorsque vous cédez ou prêtez de l’argent ou un bien à votre conjoint ou à votre enfant mineur, et que ce dernier l’utilise pour en tirer un revenu tel des intérêts, des dividendes ou des loyers. Lorsque ces règles s’appliquent, le revenu provenant du bien vous est « attribué » et il est inclus dans votre revenu plutôt que dans celui du cessionnaire.

Dans le cas de la cession ou du prêt d’un bien à votre conjoint, si ce dernier réalise plus tard un gain en capital imposable sur la vente du bien, les règles d’attribution peuvent également s’appliquer de telle sorte que le gain en capital imposable vous soit attribué, et vous l’inclurez alors dans votre revenu.

Les règles d’attribution s’appliquent aussi bien aux pertes qu’aux revenus. En effet, si le bien cédé ou prêté produit une perte de placement ou une perte en capital déductible, la perte vous est attribuée.

Les règles d’attribution du revenu ne visent normalement pas les gains en capital imposables (ou les pertes en capital déductibles) réalisés par vos enfants mineurs. Vous disposez donc ici d’un moyen légitime de fractionner des gains en capital avec vos enfants. Par exemple, vous pourriez acheter des actions ordinaires ou des parts de fonds communs d’actions à leur nom (ou à titre de simple fiduciaire – bare trustee − à leur profit), et les gains en capital imposables qui en résulteront seront imposés entre leurs mains plutôt que les vôtres.

Les règles d’attribution du revenu peuvent viser le revenu d’un « bien de remplacement » (ou, dans le cas de votre conjoint, un gain en capital imposable tiré du bien de remplacement). Disons, par exemple, que vous cédez des actions à votre conjoint et que les règles d’attribution s’appliquent à tout revenu ou gain provenant de ces actions. Si votre conjoint vend les actions et affecte le produit à l’achat d’autres actions, ou d’obligations, ou de parts de fonds commun ou, bien sûr, de tout autre bien productif de revenu, les règles d’attribution peuvent continuer de s’appliquer au revenu ou aux gains en capital provenant de cet autre bien.

Heureusement, diverses exceptions font en sorte que les règles d’attribution du revenu ne s’appliquent pas.

Exceptions

Les règles ne s’appliquent pas si vous cessez d’être un résident du Canada, ou après votre décès.

Dans le cas d’une cession ou d’un prêt à votre enfant mineur, les règles d’attribution ne s’appliquent pas dans l’année au cours de laquelle celui-ci atteint l’âge de 18 ans et dans les années suivantes.

Les règles ne s’appliquent pas après que vous avez divorcé (ou avez rompu votre union de fait). Si vous et votre conjoint êtes séparés et que vous habitez un lieu distinct par suite de la rupture de votre relation, les règles de base d’attribution du revenu ne s’appliquent pas, mais les règles d’attribution des gains en capital peuvent intervenir pendant que vous êtes séparés (sans être divorcés) à moins que vous et votre conjoint fassiez un choix conjoint différent dans un formulaire joint à vos déclarations de revenus.

Les règles ne visent pas les revenus d’entreprise. Ainsi, vous pouvez, par exemple, donner à votre conjoint ou votre enfant mineur de l’argent ou quelque autre bien qu’il utilisera dans son entreprise, et le revenu d’entreprise qui en résultera ne sera pas soumis à l’attribution.

De toute évidence, les règles d’attribution ne s’appliquent pas à un bien qui ne génère aucun revenu ou gain en capital, ni à de l’argent qui est utilisé simplement à des fins personnelles. Vous pourriez, par exemple, assumer des frais personnels de votre conjoint ou de votre enfant ou payer son impôt sur le revenu, libérant ainsi ses propres ressources qu’il pourrait investir sans que les règles d’attribution n’entrent en jeu.

Les règles ne s’appliquent pas si le bien ou l’argent que vous cédez à votre conjoint ou votre enfant est inclus dans son revenu. Par exemple, si votre enfant mineur travaille dans votre entreprise et si vous lui versez un salaire raisonnable qui est inclus dans son revenu (et déduit du revenu de votre entreprise), tout revenu de placement qu’il retire de l’investissement de son salaire n’est pas soumis à l’attribution. Certes, le paiement d’un salaire est en soi une méthode valide de fractionnement du revenu, puisqu’il réduira vos impôts.

Une exception aux règles d’attribution est prévue au titre de la « contrepartie à la juste valeur marchande ». Cette exception entre en jeu si vous vendez un bien à votre conjoint ou à votre enfant et que celui-ci vous paie au moins la « juste valeur marchande » du bien. S’il vous paie en vous accordant une créance – c’est-à-dire qu’il vous doit l’équivalent de la juste valeur marchande − vous devez lui demander au moins le taux d’intérêt prescrit en vertu de la LIR (actuellement 1 % par année) au moment de la naissance de la créance, et il doit vous payer l’intérêt sur le montant dû chaque année ou au plus tard le 30 janvier de l’année suivante. S’il omet un seul paiement d’intérêt ou fait un seul paiement en retard, l’exception ne tient plus. En outre, dans le cas d’une vente à votre conjoint, en vertu de l’exception de la contrepartie à la juste valeur marchande, vous devez faire le choix de vous soustraire au « roulement » libre d’impôt qui survient normalement pour prévenir l’apparition d’un gain en capital lorsque vous cédez un bien à votre conjoint.

Dans la même veine, une exception est prévue au titre d’un prêt à la juste valeur marchande. Cette exception entre en jeu lorsque vous prêtez de l’argent ou quelque autre bien à votre conjoint ou à votre enfant et que vous lui demandez au moins le taux d’intérêt prescrit au moment du prêt. Le taux d’intérêt prescrit est fixé à chaque trimestre de chaque année, et il est actuellement de 1 %. Comme ci-dessus, cette exception continue de s’appliquer seulement si votre débiteur vous paie l’intérêt sur le prêt chaque année aussi longtemps qu’il reste un solde à acquitter ou au plus tard le 30 janvier de l’année suivante. Fait intéressant, il est possible de se prévaloir de cette exception quelle que soit la durée du prêt.

Exemple de l’exception au titre d’un prêt à la juste valeur marchande

Vous prêtez 1 M$ à votre conjoint à un moment où le taux d’intérêt prescrit est de 1 %. La durée du prêt est de dix ans. Au fil des dix ans, votre conjoint utilise l’argent pour en tirer un revenu de placement et/ou des gains en capital imposables à un taux de 6 % par année (60 000 $ annuellement).

Si votre conjoint vous paie l’intérêt de 1 % (10 000 $) chaque année ou au plus tard le 30 janvier de l’année suivante, les 60 000 $ seront inclus dans son revenu sans être soumis à l’attribution. Il pourra déduire l’intérêt de 10 000 $ qu’il vous aura payé, ce qui lui laissera un rendement net de 50 000 $, et vous inclurez ces intérêts de 10 000 $ dans votre revenu.

Du fait de cette exception, vous aurez transféré le rendement annuel net de 5 % à votre conjoint. Si vous vous situez dans la tranche d’imposition la plus élevée et votre conjoint, dans une tranche inférieure, l’économie d’impôt en dix ans pourrait être importante.

Prêts à des adultes

Normalement, les règles d’attribution du revenu ne s’appliquent pas aux cessions ou prêts faits à vos enfants ou à vos proches qui sont des adultes (autres que votre conjoint) s’ils ont 18 ans ou plus.

Cependant, une règle d’attribution spéciale peut s’appliquer si vous prêtez de l’argent à un adulte lié. Contrairement aux règles d’attribution de base, cette règle ne peut s’activer que s’il peut être raisonnable de considérer que l’un des motifs principaux du prêt était de réduire ou d’éviter l’impôt. Le « motif principal » n’a pas à être démontré aux fins des règles d’attribution de base.

Pour vous assurer que cette règle spéciale n’intervient pas, vous devez demander le taux d’intérêt prescrit (actuellement de 1 %) et, comme pour l’exception décrite plus haut, vous devez vous assurer que le débiteur vous paie l’intérêt chaque année ou au plus tard le 30 janvier de l’année suivante.

Enfin, même si les règles d’attribution ne s’appliquent pas, certains types de revenus, comme les dividendes reçus de sociétés privées, et les revenus gagnés par l’entremise d’une fiducie ou d’une société de personnes qui offre des services à une entreprise d’une personne liée, peuvent être assujettis à l’« impôt sur le revenu fractionné ». Nous avons traité de ces règles dans des Bulletins de fiscalité antérieurs et nous reviendrons sur la question dans un bulletin ultérieur.

Mise à jour : 11 February 2021