Moore
Bulletin de février 2022

Une fiducie est un acte juridique par lequel une personne, le constituant, transfère de l’argent ou un autre bien « en fiducie » au profit d’autres personnes, les bénéficiaires. La plupart du temps, la fiducie n’a pas de personnalité juridique bien qu’elle soit considérée comme une « personne » et un « contribuable » aux fins de l’impôt sur le revenu. La personne responsable de l’administration de la fiducie est le fiduciaire. (La fiducie trouve son origine dans la common law, mais le Code civil du Québec reprend désormais le même concept.)

Les fiducies sont constituées à diverses fins. Par exemple, vous pouvez souhaiter constituer une fiducie de placement au bénéfice de vos enfants mineurs n’ayant pas la capacité de gérer eux-mêmes les placements. Un autre exemple est le cas où un bénéficiaire a un handicap mental ou physique qui l’empêche de gérer les placements. Une multitude de raisons, pour la plupart tout à fait licites et légitimes, peuvent justifier la constitution d’une fiducie.

De manière plus générale, une fiducie permet au constituant ou au bénéficiaire de conserver un certain contrôle sur les biens. Si ceux-ci étaient plutôt transférés directement à un bénéficiaire sans le recours à une fiducie, cet élément de contrôle serait le plus souvent perdu.

Essentiellement, aux fins de l’impôt sur le revenu, le revenu de la fiducie est imposé entre les mains soit de la fiducie soit des bénéficiaires.

Si le revenu d’une année est conservé dans la fiducie, il est le plus souvent imposé entre les mains de la fiducie. Dans la mesure où il est distribué aux bénéficiaires, il est normalement imposé entre les mains de ces derniers.

En conséquence, si, par exemple, les bénéficiaires se situent dans une tranche d’imposition plus faible que le constituant, il pourrait en résulter des économies d’impôt évidentes.

Voilà qui semble positif. Il existe cependant nombre de complexités et de « pièges » dont vous devez être au fait au moment de constituer une fiducie. En particulier si vous êtes le constituant de la fiducie, vous pourriez être assujetti à une règle de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) (paragraphe 75(2)), que l’on appelle parfois la règle de la fiducie avec droit de retour ou fiducie révocable. Il s’agit essentiellement d’une règle d’attribution du revenu selon laquelle le revenu de la fiducie est attribué au constituant.

La règle s’applique normalement après que le constituant a transféré les biens à la fiducie, si les conditions décrites ci-dessous sont satisfaites. Si la règle s’applique, tout revenu ou toute perte provenant des biens ou tout gain en capital imposable ou toute perte en capital déductible provenant de la disposition des biens, sera réputé être le fait du constituant. De toute évidence, cette règle peut porter ombrage aux motifs de planification fiscale justifiant l’utilisation d’une fiducie.

Quand cette règle s’applique-t-elle?

D’abord, le paragraphe 75(2) s’applique si le bien transféré, directement ou indirectement, par le constituant à la fiducie, est détenu à la condition qu’il puisse :

a) « revenir » au constituant,

ou

b) être transporté aux personnes que le constituant pourra désigner après la création de la fiducie.

La règle ci-dessus s’applique également à un « bien de substitution ». Elle peut s’appliquer, par exemple, si le bien initial apporté par le constituant est vendu par la fiducie et que le produit est affecté à l’acquisition d’un autre bien qui satisfait les mêmes conditions.

En second lieu, le paragraphe 75(2) peut s’appliquer s’il ne peut être disposé du bien qu’avec le consentement du constituant ou suivant ses instructions.

Scénarios où la règle pourrait s’appliquer

C’est ici que les choses deviennent un peu tordues.

Le champ d’application de la règle est assez large. Si vous êtes le constituant de la fiducie, elle pourrait s’appliquer dans les circonstances suivantes :

  • Vous êtes un bénéficiaire du capital de la fiducie, ce qui suppose que le bien pourra vous revenir plus tard à titre de bénéficiaire. Cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas être un bénéficiaire de la fiducie. Il vous suffira de vous assurer que les conditions de la fiducie ne peuvent faire en sorte que le bien vous revienne. Vous ne pouvez que retirer un revenu de la fiducie.
  • Une fois la fiducie constituée, vous avez le pouvoir de déterminer à qui le bien reviendra.
  • Vous êtes le seul fiduciaire de la fiducie, puisque, dans ce cas, vous avez la capacité de déterminer à qui le bien reviendra ou le bien ne pourra être cédé sans votre consentement ou vos instructions.
  • Pour des raisons semblables à celles évoquées plus haut, la fiducie compte plusieurs fiduciaires, y compris vous, mais vous avez un droit de veto sur les décisions fiduciaires.
  • La fiducie compte plusieurs fiduciaires, y compris vous, mais vous devez faire partie de la majorité des décisions fiduciaires prises.

Exceptions à la règle

De toute évidence, la règle ne s’applique pas si les conditions du paragraphe 75(2) énoncées ci-dessus ne sont pas satisfaites.

De plus, la règle ne s’applique dans aucune des circonstances suivantes :

  • lorsque vous prêtez de l’argent ou un autre bien à la fiducie, dans la mesure où il s’agit d’un prêt de bonne foi;
  • lorsque vous cessez d’être un résident du Canada;
  • après votre décès;
  • à la plupart des régimes à imposition différée qui sont des fiducies, comme les régimes enregistrés d’épargne-retraite, les comptes d’épargne libres d’impôt et les régimes enregistrés d’épargne-études;
  • si vous n’êtes bénéficiaire que du revenu de la fiducie et qu’en conséquence, vous ne pouvez recevoir un bien ou du capital de cette dernière;
  • si vous êtes un fiduciaire, mais qu’il y a d’autres fiduciaires et que vous n’avez pas le contrôle ultime ou un droit de veto comme nous l’avons vu plus haut. À cet égard, les fiducies personnelles ou familiales ont habituellement deux fiduciaires ou plus, à moins que l’unique fiduciaire soit une autre personne que le constituant;
  • si vous ne pouvez recevoir un bien de la fiducie que si cette dernière cesse d’être une fiducie juridiquement valide et qu’il faille en conséquence y mettre fin.

Autre problème : impôt potentiel sur la distribution des biens

Dans la plupart des cas, lorsqu’un bien de la fiducie est transporté à un bénéficiaire du capital, l’opération est faite en franchise d’impôt (« roulement »). En d’autres termes, la fiducie est réputée avoir disposé du bien à son coût fiscal pour elle, et le bénéficiaire reprend le même coût fiscal du bien.

Malheureusement, cette règle ne s’applique pas toujours. Elle peut ne pas s’appliquer si la règle du paragraphe 75(2) décrite plus haut s’est déjà appliquée aux biens de la fiducie.

Dans ce cas, si un bien de la fiducie est transporté à un bénéficiaire autre que le constituant de la fiducie ou son conjoint (époux ou conjoint de fait) alors que le constituant est toujours vivant, il n’y a pas roulement et la fiducie sera réputée avoir procédé à une disposition réputée pour un produit égal à la juste valeur marchande. Cela peut générer un revenu ordinaire ou un gain (ou une perte) en capital. Cependant, si le constituant est décédé, il peut y avoir roulement en cas de distribution à d’autres bénéficiaires.

Ce traitement sans roulement peut être pénible, car il peut s’appliquer si un bien, quel qu’il soit, est transporté à un bénéficiaire de la fiducie, même si ce n’est pas le bien que le constituant a transféré à la fiducie. En d’autres termes, si le paragraphe 75(2) s’est déjà appliqué à la fiducie, tout bien transporté à un bénéficiaire le sera pour un produit égal à sa juste valeur marchande, à moins que l’une des exceptions décrites plus haut ne s’applique.

Mise à jour : 11 February 2022

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