Le 7 avril 2022, le gouvernement fédéral a présenté son budget annuel (après avoir sauté 2021 en raison de la pandémie), lequel comportait diverses mesures en matière d’impôt sur le revenu. Voici un résumé de quelques-unes de ces mesures parmi les plus importantes.
Comme c’est souvent le cas, aucune disposition détaillée d’avant-projet de loi (en termes techniques, un « avis de motion des voies et moyens ») n’accompagnait nombre des propositions fiscales. En conséquence, les explications qui suivent s’appuient largement sur les observations formulées par le ministère des Finances dans les documents budgétaires.
Compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété
Le gouvernement fédéral a créé un compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (« CELIAPP »), dont le but est d’aider les particuliers à faire l’achat de leur première habitation. Le compte est destiné aux résidents du Canada âgés d’au moins 18 ans et n’ayant pas vécu dans une autre propriété leur appartenant au cours de l’année d’ouverture du compte ou des quatre années précédentes.
Les cotisations que vous verserez au CELIAPP seront déductibles dans le calcul de votre revenu, et la totalité du revenu gagné dans le compte sera libre d’impôt. De plus, les sommes retirées du CELIAPP n’entreront pas dans votre revenu dans la mesure où elles seront utilisées pour l’achat d’une propriété et non à d’autres fins.
Le plafond à vie des cotisations au CELIAPP est fixé à 40 000 $, sous réserve d’un plafond annuel de cotisation de 8 000 $, à compter de 2023.
Il est indiqué dans les documents budgétaires que, « pour accorder une marge de manœuvre » au particulier, il lui sera permis de transférer sans impôt les fonds d’un CELIAPP à un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ou un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) (sans que cela réduise ses droits de cotisation disponibles au REER). Cependant, tout comme pour les autres retraits d’un REER ou d’un FERR, les retraits ultérieurs de ces sommes du REER ou du FERR seront inclus dans votre revenu.
En revanche, vous pourrez transférer des fonds de votre REER à votre CELIAPP sans conséquence fiscale, sous réserve toutefois de la limite à vie de 40 000 $ et du plafond de cotisation annuel de 8 000 $.
Le gouvernement a précisé qu’il publiera « bientôt » plus de détails relativement au CELIAPP et que les cotisations seront autorisées « à un moment donné en 2023 ».
Crédit d’impôt pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles
Le budget propose d’instaurer le crédit d’impôt pour la rénovation d’habitations multi-générationnelles, pour 2023 et les années suivantes. Il est prévu qu’il s’agira d’un crédit remboursable, ce qui signifie que le gouvernement vous le versera même si vous n’avez pas d’impôt à payer pour l’année.
Le crédit vise une « rénovation admissible », qui s’entend en général de la rénovation d’une habitation aboutissant à la création d’un deuxième logement devant accueillir une « personne admissible » − en général une personne de 65 ans ou plus, ou un adulte handicapé de 18 ans ou plus qui a droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées. La rénovation doit permettre à la personne admissible de vivre avec un « proche admissible », soit une personne qui est âgée de 18 ans ou plus et qui est un parent, un grand-parent, un enfant, un petit-enfant, un frère, une sœur, une tante, un oncle, une nièce ou un neveu de la personne admissible.
Le crédit a pour but de venir en aide à la personne admissible qui réside avec un proche admissible ou déménage avec ce dernier, et fait un ajout à l’habitation ou crée au sein de l’habitation un deuxième logement qui sera occupé par la personne admissible.
Le crédit sera de 15 % du montant le moins élevé entre les dépenses de rénovation admissibles et 50 000 $ (soit un maximum de 7 500 $).
Il est indiqué dans les documents budgétaires que le crédit peut être demandé par la personne admissible, par son conjoint (époux ou conjoint de fait) ou par le proche admissible. Il peut aussi être réparti entre ces personnes, bien que le total des dépenses de rénovation pouvant être déduit par l’ensemble de ces personnes reste plafonné à 50 000 $.
L’habitation doit être la propriété de la personne admissible, de son conjoint ou du proche admissible. Elle doit en outre être une habitation où la personne admissible et le proche admissible résident ordinairement, ou prévoient résider ordinairement dans les 12 mois après la fin de la période de rénovation. Le crédit est demandé dans l’année au cours de laquelle se termine la période de rénovation.
Tout comme pour le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, nous nous attendons à ce que le gouvernement publie bientôt plus de détails.
Crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation
Le crédit d’impôt actuel pour l’achat d’une première habitation sera doublé, passant à 10 000 $ pour l’achat d’une habitation admissible au Canada, et cela pour les achats effectués à compter du 1 janvier 2022.
Crédit d’impôt pour l’accessibilité domiciliaire
Le crédit d’impôt pour l’accessibilité domiciliaire existe depuis 2015. Il était de 15 % du montant le moins élevé des dépenses admissibles réellement engagées et de 10 000 $ de dépenses admissibles se rapportant à un logement admissible, soit en général des dépenses visant à accroître la mobilité d’une personne âgée ou handicapée et améliorer son accès au logement (par exemple, grâce à une rampe pour fauteuil roulant et, de manière générale, à des réparations ou des rénovations permettant à la personne d’accéder à son logement et de s’y déplacer plus facilement).
Le budget porte le plafond à 20 000 $, à compter de 2022.
Règle sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels
Il est prévu que la règle sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels, qui entrera en vigueur en 2023, s’appliquera si vous achetez un bien immobilier résidentiel, dont un immeuble locatif, et le revendez dans les 12 mois suivants. Si la règle s’applique, la totalité du profit réalisé sera considérée comme un revenu d’entreprise, et non 50 % à titre de gain en capital. De plus, vous n’aurez pas droit à l’exemption pour résidence principale. Cette règle arbitraire vise peut-être à refroidir l’ardeur du marché immobilier résidentiel, mais elle ne modifiera pas vraiment la loi puisque, depuis nombre d’années, l’ARC considère les ventes faites dans un délai d’un an comme produisant un revenu d’entreprise, ce en quoi les tribunaux lui ont donné raison dans la plupart des cas.
Plusieurs exceptions sont prévues à cette règle lorsque la vente ou autre disposition du bien immobilier fait suite à certains « événements de vie ». Les exceptions seront notamment les suivantes :
- Décès: une disposition en raison ou en prévision de votre décès ou de celui d’une personne liée.
- Ajout au ménage: une disposition en raison ou en prévision du fait qu’une personne liée se joindra à votre ménage ou que vous vous joindrez au ménage d’une personne liée.
- Séparation: une disposition en raison de l’échec de votre mariage ou de votre union de fait.
- Sécurité personnelle: une disposition en raison d’une menace à votre sécurité personnelle, ou à celle d’une personne liée, telle que la violence familiale.
- Incapacité ou maladie: une disposition en raison du fait que vous ou une personne liée souffrez d’une incapacité ou d’une maladie grave.
- Changement d’emploi: une disposition pour vous permettre, à vous ou à votre conjoint (époux ou conjoint de fait), de travailler à un nouvel endroit, ou en raison d’une cessation d’emploi involontaire. Dans le cas du travail à un nouvel endroit, votre nouvelle habitation doit se situer au moins 40 kilomètres plus près du nouveau lieu de travail que votre ancienne habitation.
- Insolvabilité: une disposition attribuable à l’insolvabilité ou afin d’éviter l’insolvabilité.
Crédit d’impôt pour frais médicaux liés à des mères porteuses, ou à des donneurs de sperme, d’ovules ou d’embryons
En vertu des règles actuelles, certains frais liés à des procédures de fécondation in vitro donnent droit au crédit d’impôt pour frais médicaux. Le budget élargit les divers types de frais admissibles. Ce changement s’applique aux années 2022 et suivantes. Le crédit s’appliquera, par exemple, aux sommes remboursées à une mère porteuse pour ses frais, et aux frais liés à une procédure de fécondation in vitro ou un médicament hormonal d’ordonnance lié à sa grossesse. Le crédit s’appliquera également aux frais payés à des cliniques de fertilité ou des banques de donneurs de sperme ou d’ovules.
Exigences en matière de déclaration pour les REER et les FERR
À l’heure actuelle, les institutions financières doivent déclarer à l’Agence du revenu du Canada (ARC) les sommes que vous retirez de vos régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) et fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR). Elles ne sont toutefois pas tenues de déclarer la valeur de ces régimes.
À compter de 2023, les institutions seront tenues de déclarer à l’ARC la juste valeur marchande de vos régimes, calculée à la fin de l’année. Selon le budget, la logique de cette nouvelle règle est d’aider l’ARC « dans ses activités d’évaluation des risques relatives aux placements admissibles détenus par les REER et les FERR ». En d’autres termes, si la valeur de votre REER est très élevée (du fait notamment que vous avez investi dans des actions dont la valeur s’est multipliée nombre de fois), l’ARC veut examiner cette valeur et s’assurer que le régime n’a pas investi dans des placements non admissibles ou interdits.
Actions accréditives
De manière générale, les actions accréditives permettent aux investisseurs/actionnaires de demander une déduction ou un crédit à l’égard de certaines dépenses admissibles engagées par une société. La société « renonce » aux dépenses en faveur de l’investisseur qui obtient alors l’avantage fiscal.
Le budget propose d’instaurer un nouveau crédit d’impôt de 30 % pour l’exploration des minéraux critiques à l’intention des entreprises qui investissent dans des minéraux déterminés. Les minéraux admissibles comprennent le cuivre, le nickel, le lithium, le cobalt, le graphite, les éléments des terres rares, le scandium, le titane, le gallium, le vanadium, le tellure, le magnésium, le zinc, des métaux du groupe des platineux et l’uranium. Le nouveau crédit s’applique aux conventions visant des actions accréditives conclues après le 7 avril 2022 et au plus tard le 31 mars 2027.
Du coup, le budget a éliminé le traitement accordé aux actions accréditives pour les activités pétrolières, gazières et du charbon. En conséquence, une société ne pourra plus renoncer à ses frais d’exploration et d’aménagement relatifs à ses activités pétrolières, gazières et du charbon en faveur d’un détenteur d’actions accréditives. Ce changement s’appliquera aux conventions pour actions accréditives conclues après le 31 mars 2023.
Déduction accordée aux petites entreprises
La déduction accordée aux petites entreprises permet à centaines sociétés privées sous contrôle canadien (« SPCC ») de bénéficier d’un taux d’impôt préférentiel sur la première tranche de 500 000 $ de leur revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. Le taux d’impôt fédéral est de 9 % et le taux provincial dépend de la province où se trouve la petite entreprise.
En vertu des règles actuelles, la déduction accordée aux petites entreprises disparaît progressivement à compter du moment où la SPCC a un capital imposable de plus de 10 M$, et elle est totalement éliminée lorsque son capital imposable atteint 15 M$.
Le budget permet une élimination plus progressive. Même si la déduction commence toujours à disparaître à compter du moment où la SPCC a un capital imposable de plus de 10 M$, la nouvelle fourchette s’étend jusqu’à 50 M$ de capital imposable et s’applique aux années d’imposition s’ouvrant après le 6 avril 2022.
Les exemples suivants sont présentés dans le budget :
- une SPCC ayant 30 M$ de capital imposable aurait jusqu’à 250 000 $ de revenu provenant d’une entreprise exploitée activement admissible à la déduction accordée aux petites entreprises, par rapport à 0 $ en vertu des règles actuelles;
- une SPCC ayant 12 M$ de capital imposable aurait jusqu’à 475 000 $ de revenu provenant d’une entreprise exploitée activement admissible à la déduction accordée aux petites entreprises, par rapport à un maximum de 300 000 $ en vertu des règles actuelles.
Modification de la règle générale anti-évitement (« RGAE »)
La règle générale anti-évitement (RGAE) permet à l’ARC (ou éventuellement aux tribunaux) de corriger certains attributs fiscaux d’un contribuable. Elle peut s’appliquer lorsque vous procédez à une opération d’évitement (sous réserve d’autres conditions). En général, une telle opération vous procure un avantage fiscal, à moins qu’elle n’ait été menée principalement à des fins légitimes autres que celle d’obtenir l’avantage fiscal.
Le budget propose d’élargir le champ de la RGAE en réaction à une décision de la Cour d’appel fédérale qui en restreignait la portée. Dans cette décision, la Cour d’appel avait affirmé que la RGAE ne s’appliquait pas à une opération ayant entraîné dans une année antérieure une augmentation d’un attribut fiscal qui n’avait pas encore été utilisé pour réduire l’impôt dans l’année courante.
Le budget aborde cette question, et prévoit que la RGAE peut s’appliquer aux opérations ayant une incidence sur les attributs fiscaux qui ne sont pas encore devenus pertinents dans le calcul de l’impôt. Ce changement s’applique aux avis de détermination délivrés par l’ARC à compter du 7 avril 2022.
SPCC en substance
Comme nous l’avons vu plus haut, une SPCC est imposée à un taux préférentiel sur son revenu d’entreprise du fait de la déduction accordée aux petites entreprises.
Une SPCC est toutefois imposée à des taux très élevés (le plus souvent, 50 % ou plus) sur son revenu de placement, y compris les gains en capital imposables. Elle obtient toutefois un remboursement important de l’impôt payé lorsqu’elle verse un dividende à ses actionnaires.
Cependant, une société qui n’est pas une SPCC n’est pas assujettie à ces taux élevés sur son revenu de placement. Le gouvernement s’inquiète de la possibilité que certains contribuables structurent délibérément leurs sociétés privées de façon à éviter les taux élevés auxquels sont assujettis les revenus de placement des SPCC.
Par exemple, les documents budgétaires mentionnent que certains contribuables peuvent tenter d’éviter le statut de SPCC en prorogeant la société en vertu du droit d’une juridiction étrangère, tout en maintenant sa résidence canadienne.
Le budget propose donc d’harmoniser le régime d’imposition du revenu de placement des « SPCC en substance » avec les règles qui s’appliquent aux SPCC [ordinaires]. De manière générale, une SPCC en substance sera une société privée résidant au Canada qui n’est pas une SPCC [ordinaire], mais qui est ultimement contrôlée par des particuliers résidant au Canada. D’autres conditions s’appliquent. Dans la plupart des cas, cette nouvelle règle vise les années d’imposition se terminant après le 6 avril 2022.
Réforme fiscale internationale
Le budget fait mention de la volonté du Canada d’adopter les deux « piliers » du Cadre inclusif de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (le Cadre inclusif), connu sous le signe anglais « BEPS », dont le but est de restreindre l’évitement fiscal des sociétés multi-nationales.
Les propositions sont complexes. Le ministère des Finances explique, de manière générale, que :
« Le Pilier Un vise à réaffecter une partie des droits d’imposition sur les bénéfices des plus grandes et plus rentables entreprises multi-nationales (EMN) aux pays de marché (c.‑à‑d., là où se trouvent leurs utilisateurs et leurs clients). Le Pilier Deux vise à s’assurer que les bénéfices des grandes EMN sont assujettis à un taux effectif d’imposition d’au moins 15 % peu importe l’endroit où ils sont gagnés ».
Plus de détails devraient être publiés sous peu. Le gouvernement a demandé commentaires et conseils aux éventuelles parties prenantes.