Moore
Bulletin de janvier 2024

L’exonération cumulative des gains en capital (ECGC) est une exonération fiscale incroyablement avantageuse. Tout particulier a droit à cette exonération qui peut actuellement (pour 2023) rendre non imposable un gain pouvant aller jusqu’à 971 190 $ (montant qui est indexé à l’inflation chaque année).

En Ontario, par exemple, l’économie d’impôt résultant de l’ECGC peut valoir jusqu’à 260 000 $ en 2023.

Malheureusement, toutefois, l’ECGC n’est pas disponible pour tous les gains en capital. Elle n’est admise en général qu’à l’égard de la vente des actions d’une société privée (fermée), et de certains biens agricoles et de pêche. Elle s’applique en particulier aux actions qui ne satisfont pas les critères de la définition d’« actions admissibles de petite entreprise » (AAPE).

Souvent, les propriétaires d’entreprise supposent que, du fait qu’ils détiennent leur propre entreprise, ils ont automatiquement droit à l’ECGC lors de la vente de ladite entreprise. Ce n’est pas le cas! L’ECGC n’est disponible que si certains critères relatifs aux actions sont satisfaits.

Critère de la détention de 24 mois

En premier lieu, ce sont les actions de l’entreprise qui doivent être vendues. Les ventes d’entreprise sont souvent structurées comme des ventes d’actifs par la société, formule que les acheteurs d’entreprise ont tendance à privilégier pour diverses raisons fiscales et légales (dont la possibilité de demander la déduction pour amortissement [DPA] des biens amortissables). Toutefois, le vendeur de l’entreprise préférera généralement vendre les actions (et, par conséquent, vendre la société dans son intégralité ainsi que tous les droits et obligations y associés).

La décision de vendre les actions ou les actifs (une combinaison des deux est possible également) fait normalement l’objet d’une négociation commerciale avant la vente. Pour le vendeur, toutefois, la vente des actions (du moins en partie) est essentielle s’il veut pouvoir demander l’ECGC.

Autre exigence dans le cas des actions : le vendeur (ou une personne qui lui est liée) doit être la seule personne ayant détenu les actions au cours des 24 mois qui ont précédé la vente. Si quelque autre personne non liée a détenu les actions à quelque moment de cette période, la vente des actions ne donnera pas droit à l’ECGC.

Point important à noter à cet égard : les actions émises directement par la société sont réputées avoir été détenues par une personne non liée dans la période antérieure à l’émission. De ce fait, si de nouvelles actions sont réputées avoir été reçues directement de la société, et ont été détenues pendant moins de 24 mois, elles ne donnent pas droit non plus à l’ECGC.

Critère de la détention de 50 % des actifs

Un deuxième critère devant être satisfait concerne les actifs de l’entreprise. Dans la période de 24 mois précédant la vente, plus de 50 % de la juste valeur marchande des actifs de l’entreprise doit être attribuable à des actifs utilisés principalement dans l’entreprise exploitée activement de la société (ou l’entreprise exploitée activement d’une société liée).

Si la société détient des actions ou des titres de créance d’une société « rattachée », ceux-ci peuvent être pris en compte également dans le seuil de 50 %, dans la mesure où la société rattachée satisfait elle-même ce critère des 50 %, et à la condition que le critère de la période de détention de 24 mois soit satisfait pour les actions ou les titres de créance.

Quant à savoir si des sociétés sont « rattachées », cette appréciation est soumise à un autre ensemble de règles complexes. Quoi qu’il en soit, deux sociétés sont normalement rattachées si l’une d’elles contrôle l’autre, ou détient au moins 10 % des actions avec droit de vote et 10 % de la valeur de l’autre.

Le critère des 50 % est facilement satisfait dans certains cas mais, dans d’autres cas, il peut représenter l’exigence la plus onéreuse de l’admissibilité à l’ECGC. À noter que le critère doit être satisfait pour l’entière période de 24 mois précédant la vente. Toute interruption momentanée rendrait donc les actions inadmissibles à l’ECGC.

Cette exigence est particulièrement importante lorsqu’une société détient des actifs hors entreprise, tels des placements de portefeuille ou des excédents de trésorerie. Dans ce scénario, il faut soumettre la valeur de ces actifs à une surveillance continue pour veiller à ce que la valeur combinée de tous les actifs hors entreprise n’atteigne jamais 50 % de la valeur de l’ensemble des actifs détenus par la société.

Une société a le droit de détenir des réserves de trésorerie qu’elle peut considérer comme un actif d’une entreprise exploitée activement, mais pas au-delà d’une certaine limite. Pour déterminer si un montant de trésorerie est nécessaire à l’exploitation de l’entreprise, ou s’il s’agit plutôt d’un excédent de trésorerie, l’Agence du revenu du Canada (ARC) se demande si le retrait dudit montant aurait pour effet de déstabiliser l’entreprise dans son ensemble. Il n’y a donc pas de montant fixe qui soit admis. Il faut plutôt évaluer les besoins de trésorerie de l’entreprise.

Si la société détient des actifs hors entreprise, dans la mesure où la valeur de ces actifs suscite de l’inquiétude au regard de l’ECGC, certaines mesures de planification peuvent être prises. Ainsi, un excédent de trésorerie peut être affecté au remboursement d’une dette ou à l’achat d’actifs d’entreprise exploitée activement.

Par ailleurs, la société peut réorganiser ses affaires de façon à permettre que les actifs excédentaires, hors exploitation, soient transférés à une société différente (on parle ici communément de « purification »). Ce faisant, la « pureté » de la société qui est vendue pourra être préservée, c’est-à-dire que cette dernière pourra continuer de satisfaire le critère des 50 %, malgré l’accumulation d’actifs hors exploitation.

Critère de la société exploitant une petite entreprise

Un dernier critère doit être satisfait : au moment de la vente, la société doit être une « société exploitant une petite entreprise » (SEPE). Cette expression ne signifie pas ce qu’elle semble signifier; il s’agit d’une expression définie, et de façon très précise.

D’abord, la société doit être une « société privée sous contrôle canadien » − soit une société résidant au Canada dont les actions ne sont pas négociées en bourse et qui n’est pas contrôlée par des non-résidents ni par une société « publique » (ouverte). C’est généralement le cas de la plupart des petites entreprises, mais la définition, qui est complexe, doit être étudiée attentivement.

En second lieu, au moment de la vente, « la totalité ou la presque totalité » de la valeur des actifs de la société doit être attribuable à des actifs utilisés principalement dans l’entreprise exploitée activement de la société (ou l’entreprise d’une société liée), ou doivent consister en actions ou titres de créance d’une société rattachée.

L’ARC a généralement interprété la « presque totalité » comme signifiant 90 % ou plus de la valeur des actifs de la société.

Comme il s’agit ici d’un critère ponctuel (qui doit être satisfait à un moment précis, contrairement au critère des 50 % de détention), il est plus facile pour une société de s’organiser pour que ce critère soit satisfait au moment pertinent, même s’il est plus restrictif que le critère des 50 % relatif à la valeur des actifs hors exploitation.

Par exemple, tous les actifs hors exploitation peuvent être sortis de la société immédiatement avant la vente pour assurer la conformité, même si la société n’a jamais satisfait le critère de la « totalité ou presque totalité » par le passé.

Planification visant à maximiser l’ECGC disponible

Même s’il peut être difficile de satisfaire les critères relatifs à une SEPE, les avantages sont évidents. Assurer la conformité peut signifier des économies fiscales de l’ordre de 260 000 $ selon la province, et aussi des montants plus élevés dans les années futures puisque l’ECGC augmente avec le temps. Évidemment, comme il s’agit d’une exonération « cumulative », si vous en avez déjà utilisé une partie par le passé, votre capacité de l’utiliser au moment considéré est diminuée des demandes que vous avez soumises antérieurement.

Si une vente est prévue assez à l’avance, il est possible, avec une planification judicieuse et des conseils professionnels, d’accroître ces économies encore davantage.

Par exemple, il peut être envisageable de réorganiser l’entreprise longtemps à l’avance de façon à inclure d’autres personnes dans l’actionnariat et augmenter ainsi la possibilité que des montants additionnels soient demandés au titre de l’ECGC à l’égard d’une vente.

On y parvient souvent au moyen d’un gel successoral, sujet que nous aborderons dans le Bulletin de fiscalité du mois prochain. Dans le cadre d’un gel successoral, par exemple, un conjoint ou un enfant peut être admis dans l’actionnariat et tirer avantage de l’ECGC lors d’une vente future.

Par ailleurs, ou au surplus, il est possible d’inscrire une fiducie familiale à l’actionnariat. Le principal avantage est alors de rendre disponible l’ECGC à de multiples bénéficiaires, la fiducie pouvant attribuer à l’un ou plusieurs de ses bénéficiaires tout gain réalisé sur ses actions.

Toute tentative d’intégration de nouveaux actionnaires à ces fins doit être faite bien avant la vente, puisque les nouveaux actionnaires ne profiteront de la croissance de la valeur de la société qu’après le gel. En d’autres termes, la société doit connaître une croissance suffisante après le gel pour que les nouveaux actionnaires réalisent un gain à l’égard duquel ils pourront se prévaloir de l’ECGC à laquelle ils ont droit.

Pour qu’il soit possible de bénéficier pleinement d’une seconde ECGC, par exemple, il faudra que la valeur de la société croisse de plus de 1 M$ après le gel.

Pour la plupart des propriétaires d’entreprise, l’ECGC est une exonération fiscale cruciale dont ils devraient pouvoir bénéficier. Ils ne doivent cependant pas en tenir la disponibilité pour acquise. Compte tenu de l’obligation de satisfaire diverses conditions pendant les 24 mois précédant la vente, ils auront intérêt à consulter des experts le plus tôt possible en vue d’une planification à long terme de l’exonération.

Mise à jour : 9 January 2024