Moore
Bulletin de mai 2021

Règle de l’utilisation directe

Si vous empruntez de l’argent, les intérêts que vous payez sur l’emprunt sont normalement déductibles si l’argent sert à gagner un revenu d’entreprise ou de biens. Le revenu d’entreprise se comprend facilement. Le revenu de biens s’entend des revenus de dividendes, de loyers et d’intérêts.

Le revenu de biens n’englobe pas les gains en capital. Cependant, si vous empruntez de l’argent dans le but d’acquérir des placements comme des actions ordinaires ou des parts de fonds communs d’actions visant la réalisation de gains en capital et susceptibles de rapporter des dividendes ou d’autres revenus de biens, vous pouvez habituellement avoir droit aussi à la pleine déduction des intérêts.

Si vous empruntez de l’argent que vous utilisez à des fins personnelles, les intérêts ne sont pas déductibles. Par exemple, si vous avez un emprunt hypothécaire sur votre maison, les intérêts hypothécaires sont le plus souvent non déductibles (bien qu’une partie puisse être déductible si vous exploitez une entreprise à partir d’un bureau à domicile – pour plus de détails, voir notre Bulletin de fiscalité de juin 2020).

Pour ce qui est de l’« utilisation de l’argent emprunté », les tribunaux ont établi qu’une utilisation directe de l’argent emprunté est exigée, et qu’une utilisation indirecte n’est normalement pas admissible. La distinction entre une utilisation directe et une utilisation indirecte est illustrée dans l’exemple qui suit.

Exemple

Vous avez 500 000 $ de liquidités à investir. Vous pensez acheter une maison mais vous souhaitez également acheter des actions et des parts de fonds communs de placement. Vous avez besoin d’emprunter de l’argent pour réaliser les deux types d’achats.

Si vous empruntez pour acheter la maison, l’utilisation directe de l’argent emprunté ne vise pas la réalisation d’un revenu (sous réserve du fait que, comme nous l’avons vu, vous utilisez une partie de la maison dans le cadre de votre entreprise). Vous ne pouvez faire valoir que l’emprunt vous a permis d’acheter les actions et les parts de fonds communs de placement en libérant vos 500 000 $ de liquidités pour leur achat. En conséquence, les intérêts payés sur l’emprunt résidentiel ne sont pas déductibles, l’utilisation directe étant l’achat de la maison, même si l’emprunt vous a permis indirectement d’acheter les actions et les parts de fonds communs de placement.

Cependant, si vous contractez un emprunt afin d’acheter les actions et les parts de fonds communs de placement, l’utilisation directe de l’emprunt vise la réalisation d’un revenu. Vous pouvez alors utiliser vos liquidités de 500 000 $ pour acquérir la maison. Dans ce cas, les intérêts sur l’emprunt sont totalement déductibles.

Un conseil de planification fiscale, que l’on pourrait appeler la « réorganisation de la déduction des intérêts » (interest deduction shuffle), consiste à affecter l’argent emprunté directement à l’achat de placements productifs de revenu, alors que l’emprunt vous permet indirectement d’acheter un bien à usage personnel comme une maison que vous habiterez. On peut parler aussi de la « réorganisation Singleton » (Singleton shuffle) à la suite du jugement historique de la Cour suprême du Canada qui a donné sa bénédiction à ce type d’opération.

Dans Singleton, le contribuable était associé dans un cabinet d’avocats. Il avait quelque 300 000 $ de fonds propres investis dans le cabinet. Il souhaitait acheter une maison, mais il savait que s’il contractait un emprunt pour acheter la maison, les intérêts sur l’emprunt ne seraient pas déductibles. En conséquence, il a retiré son avoir du cabinet pour acheter la maison et, le même jour, il a contracté un emprunt de 300 000 $ auprès d’une banque pour rétablir sa participation dans le cabinet. Comme l’utilisation directe de l’argent emprunté consistait à investir dans le cabinet d’avocats, cela dans le but de tirer un revenu d’une entreprise, la Cour suprême a affirmé que les intérêts sur l’emprunt étaient entièrement déductibles.

Et, de toute évidence, l’Agence du revenu du Canada (ARC) doit respecter les décisions de la Cour suprême du Canada.

Voyons comment la réorganisation Shuffle s’applique dans une variante de l’exemple ci-dessus.

Exemple

Vous détenez actuellement des actions et des parts de fonds communs de placement d’une valeur de 500 000 $. Vous souhaitez acheter une maison et il vous faudrait contracter un emprunt hypothécaire de 500 000 $ pour l’acheter. Le cas échéant, les intérêts sur l’emprunt ne seront pas déductibles.

Vous vendez plutôt les actions et les parts de fonds communs de placement pour 500 000 $ et vous utilisez le produit de la vente pour acheter la maison. Puis, vous empruntez 500 000 $ à une banque – emprunt garanti par une hypothèque sur la maison – pour racheter les actions et les parts de fonds communs de placement (ou quelque autre placement productif de revenu). L’utilisation directe de l’argent emprunté vise maintenant la réalisation d’un revenu, et les intérêts sur l’emprunt sont totalement déductibles.

Du point de vue de la banque, le prêt de 500 000 $ qu’elle vous a consenti est tout aussi sûr que s’il s’était agi d’un prêt hypothécaire affecté à l’achat de la maison, puisqu’il est garanti par une hypothèque.

Ce type d’opération est optimal si les actions et les parts de fonds communs de placement ne comportent que peu ou pas de gain en capital, car tout gain en capital imposable accumulé se matérialiserait au moment où vous vendez les titres.

Emprunts aux fins d’un REER ou d’un CELI

Si vous contractez un emprunt dans le but d’investir dans votre régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ou votre compte d’épargne libre d’impôt (CELI), vous semblez utiliser l’argent emprunté pour investir dans des biens et en retirer un revenu. Donc, à la lumière de la règle ci-dessus, vous pourriez penser que vous serez en mesure de déduire les intérêts sur l’emprunt.

Malheureusement, la LIR comporte une disposition particulière qui a préséance sur la règle ci-dessus et interdit toute déduction des intérêts sur les emprunts visant à investir dans un REER ou un CELI (comme dans d’autres régimes à imposition différée, dont les régimes de pension agréés, les régimes enregistrés d’épargne-études et les régimes enregistrés d’épargne-invalidité).

La logique de ce refus de la déduction des intérêts sur de tels emprunts est que, même si l’argent est le plus souvent utilisé aux fins de tirer un revenu de biens, le revenu provenant de la somme empruntée pendant qu’elle est dans le REER ou le CELI n’est pas assujetti à l’impôt (dans le cas d’un CELI il n’est pas non plus imposé lorsque vous retirez l’argent). Le gouvernement estime, essentiellement, qu’étant donné que le revenu n’est pas imposé pendant la période où il est gagné, une déduction ne vous sera pas accordée pour les intérêts dans le même intervalle.

Qu’arrive-t-il si vous vendez le placement à perte et que vous devez toujours de l’argent?

Un problème risque de se présenter si vous vendez un bien de placement acquis au moyen d’un emprunt, et que vous vendez ultérieurement le bien à perte. Dans ce cas, vous pourriez ne pas être en mesure de rembourser la totalité de l’emprunt. Par conséquent, si une partie de l’emprunt reste due, pouvez-vous toujours déduire les intérêts afférents? Vous pourriez penser que la réponse sera « non », puisque vous n’utilisez plus l’argent emprunté aux fins de gagner un revenu.

Or, heureusement, la réponse est le plus souvent positive.

La LIR comporte une disposition particulière en vertu de laquelle, en substance, l’excédent du solde de votre emprunt sur le produit de disposition du bien (à perte) est réputé être utilisé aux fins de tirer un revenu de biens. Vous continuerez donc d’avoir droit à la déduction des intérêts sur cette partie de l’emprunt. Voici un exemple.

Exemple

Vous avez contracté un emprunt de 100 000 $ pour acheter des actions. Malheureusement, les actions ont perdu beaucoup de valeur, et vous avez décidé de les vendre alors qu’elles valaient 40 000 $.

Vous utilisez les 40 000 $ pour rembourser une partie de l’emprunt, ce qui vous laisse donc un solde de 60 000 $. En vertu de la disposition particulière, les intérêts sur le solde en capital de 60 000 $ de l’emprunt continuent d’être déductibles, même si vous ne possédez plus les actions.

Une disposition semblable s’applique si vous contractez un emprunt qui est utilisé dans votre entreprise, que vous cessez plus tard d’exploiter l’entreprise, et que la valeur des biens de l’entreprise est inférieure au montant restant à rembourser sur le capital emprunté. De manière générale, une partie de l’emprunt est attribuée aux biens que vous vendez (et, à cette fin, il y a une disposition réputée une fois que vous commencez à utiliser les biens à une autre fin). Le solde du capital emprunté, s’il en est, est réputé être utilisé aux fins de tirer un revenu d’une entreprise et les intérêts sur cette partie de l’emprunt continuent d’être déductibles.

Mise à jour : 17 May 2021

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