Moore
Bulletin de février 2024

La planification successorale est un élément important pour l’ensemble des particuliers, sans égard à leur niveau de fortune. Une piètre planification, ou l’absence de planification, peut entraîner la perte d’une proportion excessive de votre patrimoine lors de votre décès, sous la forme de frais d’homologation ou d’impôts, ou les deux.

Par bonheur, il existe une pléthore d’informations concernant la planification successorale, et les diverses stratégies vous permettant de veiller à ce que la plus grande partie possible de votre patrimoine soit transmise à vos héritiers au moment de votre décès (et, parfois, avant votre décès). Une stratégie fort répandue est la création d’une fiducie familiale.

Une fiducie est essentiellement une entente entre diverses personnes physiques en vertu de laquelle une personne (le constituant) transfère des biens à la fiducie, laquelle est gérée par une ou plusieurs personnes distinctes (les fiduciaires) au profit de cessionnaires présents ou futurs des biens (les bénéficiaires).

En élaborant cette entente, le constituant organise la transmission de biens lui appartenant aux bénéficiaires ultimes, soit dans l’immédiat, soit à un moment futur déterminé.

Une fois les biens transmis à la fiducie, ils ne sont habituellement plus considérés comme appartenant au constituant et ne font plus partie de son patrimoine au moment de son décès. Ils sont plutôt la propriété en titre (legal ownership) des fiduciaires et la propriété réelle (beneficial ownership) des bénéficiaires.

Avantages non fiscaux

Il ne convient généralement pas de constituer une fiducie au seul motif des avantages fiscaux pouvant en résulter. Par bonheur, divers avantages non fiscaux importants peuvent prendre le pas sur les avantages purement fiscaux, faisant des avantages fiscaux potentiels un complément appréciable.

Par exemple, un père ou une mère peut vouloir céder des biens à un enfant qui n’est pas en mesure à ce moment de sa vie d’en recevoir la valeur totale, en raison notamment de son jeune âge, d’une incapacité, de mauvaises habitudes de dépenses ou pour d’autres raisons. Une fois transférés plutôt à une fiducie, les biens peuvent être administrés par les fiduciaires jusqu’à ce que ces derniers déterminent que le moment est venu d’en transférer la valeur au bénéficiaire.

Le transfert de biens à une fiducie procure également une grande flexibilité lorsqu’une décision s’impose, à savoir qui profitera plus tard des biens, et dans quelle proportion.

Par exemple, vous souhaitez peutêtre transférer des biens plus tard à vos enfants, mais ne savez pas encore précisément combien ira à chacun. De plus, il se peut que vous désiriez également laisser un héritage à vos petits-enfants à naître.

Au moment de constituer une fiducie, il est possible de désigner une « catégorie » de bénéficiaires (par exemple, les enfants ou petits-enfants d’une personne) plutôt que de nommer expressément chaque bénéficiaire. En regroupant les « enfants » ou les « petits-enfants » dans une catégorie de bénéficiaires et en accordant aux fiduciaires la discrétion de déterminer combien ira à chaque bénéficiaire, on permet auxdits fiduciaires de déterminer, ultérieurement, combien chaque enfant ou petit-enfant recevra. Il est possible, en outre, d’inclure automatiquement tout enfant encore à naître dans les bénéficiaires éventuels.

Si les parents des bénéficiaires sont également les fiduciaires de la fiducie, le recours à une structure fiduciaire permet aux parents de conserver le contrôle des biens transmis à la fiducie pendant qu’ils sont dans la fiducie. Cela permet en outre aux parents d’adapter leurs plans de distribution aux événements futurs (par exemple, en ajoutant ou en éliminant des bénéficiaires, et en distribuant les biens de façon à soutenir les bénéficiaires dans les moments importants de leur vie).

On peut aussi recourir à la fiducie, dans certaines circonstances, pour assurer à une personne une protection contre les créanciers. En général, les biens transférés dans une fiducie ne peuvent être saisis plus tard si le constituant fait faillite, divorce ou perd une poursuite judiciaire, dans la mesure où l’événement défavorable n’était ni connu ni prévu au moment du transfert des biens à la fiducie.

Procédure de constitution d’une fiducie

Une fiducie est créée par une personne (le constituant) qui rédige et signe (le plus souvent avec l’aide d’un conseiller professionnel) une convention de fiducie et transfère les biens à la fiducie. Il n’est pas rare que le constituant verse une pièce de monnaie ou un petit montant d’argent à la fiducie pour sa constitution.

La convention de fiducie guide les fiduciaires pour ce qui est de la façon dont la fiducie doit être administrée, et elle attribue divers droits et impose diverses restrictions aux fiduciaires quant à l’administration de la fiducie. La convention désigne les fiduciaires, décrit ce qu’ils peuvent faire et ce qui leur est interdit, dresse une liste des bénéficiaires potentiels et explique à quel moment, et dans quelles circonstances, les biens peuvent être remis à ces derniers.

Comme il a été mentionné plus haut, il n’est pas rare que, dans une fiducie, les fiduciaires soient les parents des bénéficiaires. Les parents fiduciaires peuvent également être bénéficiaires de sorte que les fonds de la fiducie puissent leur être remis.

Lorsque seul un petit montant est versé lors de la création de la fiducie, il est fréquent que le constituant soit l’un des grands-parents d’un ou de bénéficiaires ou un ami de la famille. Compte tenu des diverses règles de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), il est important que le constituant ne soit pas également un fiduciaire ou un bénéficiaire de la fiducie. De plus, le constituant ne doit avoir aucun contrôle sur la façon dont les biens de la fiducie doivent être distribués et aucun remboursement ne doit lui être fait des montants qu’il a versés dans la fiducie.

Pourquoi une personne ne verserait-elle qu’un petit montant dans une fiducie? Parce que les fiducies sont souvent utilisées comme élément d’une planification successorale plus large, qui comporte des réorganisations d’entreprises.

Par exemple, un constituant pourrait verser 10 $ dans une fiducie, laquelle les affectera à l’achat d’actions d’une entreprise familiale une fois que celle-ci aura été réorganisée de telle sorte que les nouvelles actions aient une valeur nominale (on parle ici d’un gel successoral). Ce faisant, le constituant peut faire un apport relativement minime à la fiducie, laquelle peut alors cumuler une valeur importante dans les années suivantes, au fur et à mesure que croît l’entreprise.

Une fois la fiducie « constituée », le constituant ne participe plus de quelque façon à l’administration de dette dernière. Le contrôle est remis entre les mains des fiduciaires qui administrent la fiducie selon la convention de fiducie.

Conséquences fiscales

Une fiducie est considérée comme une personne distincte aux fins de la LIR, ce qui signifie que tout revenu ou gain dégagé des biens de la fiducie est imposé entre les mains de la fiducie (à moins qu’ils ne soient attribués à des bénéficiaires, comme il est expliqué plus loin).

Une fiducie paie l’impôt sur tous ses revenus et gains au taux d’impôt le plus élevé de sa province de résidence (en Ontario, 53,53 % sur le revenu ordinaire et 26,76 % sur les gains en capital). Elle ne bénéficie donc pas des tranches d’imposition marginales des par-ticuliers.

Ce traitement fiscal rend en général inefficiente, sur le plan fiscal, la réalisation de revenus et de gains dans une fiducie. Cependant, lorsqu’une fiducie distribue des revenus ou des gains à un bénéficiaire, les montants en cause peuvent être imposés plutôt entre les mains du bénéficiaire. (La fiducie doit constater le revenu aux fins de l’impôt, mais elle obtient en général une déduction compensatoire pour les montants payés ou payables aux bénéficiaires.)

Cette façon de faire peut être avantageuse si un ou une bénéficiaire se situe dans une tranche d’imposition marginale faible dans l’année. Ainsi, et sous réserve des règles de l’« impôt sur le revenu fractionné » (IRF) décrites ci-dessous, le revenu peut être distribué entre les bénéficiaires d’une façon qui aboutit au moindre impôt possible à payer pour l’année.

La fiducie doit produire une déclaration T3 chaque année au plus tard 90 jours après la fin de l’année, afin de déclarer les revenus et les gains réalisés, et de déduire les montants distribués aux bénéficiaires, lorsque ce sont ces derniers qui doivent plutôt payer l’impôt. La fiducie préparera également des feuillets T3 à l’intention des bénéficiaires, pour leur trans-mettre les renseignements pertinents dont ils devront tenir compte dans leur déclaration de revenus personnelle. En commençant avec la déclaration de l’année 2023, la fiducie doit fournir une quantité importante de détails pour l’identification de tous ses bénéficiaires réels et éventuels, et permettre à l’ARC d’auditer la fiducie et les bénéficiaires.

Fractionnement du revenu

Historiquement, les familles ont eu recours à des fiducies familiales pour fractionner leur revenu entre les membres de la famille, et tirer avantage des tranches d’imposition marginales de chaque bénéficiaire. Le fractionnement du revenu est possible parce qu’un membre de la famille ayant un revenu élevé peut verser des fonds à une fiducie, et que les fiduciaires peuvent décider de remettre les revenus et les gains produits par ces fonds à un ou plusieurs bénéficiaires qui paient l’impôt à des taux inférieurs.

Comme cette planification est devenue très populaire, de nouvelles règles relatives à l’IRF ont été instaurées en 2018 afin de mettre un terme à ce type de fractionnement du revenu, en particulier lorsque des dividendes sont versés par une entreprise exploitée par un particulier à des membres de la famille de ce particulier. Ces règles s’appliquent tant aux dividendes versés directement aux membres de la famille qu’à ceux qui sont versés indirectement par l’entremise d’une fiducie.

Par exemple, si Papa, qui exploitait une entreprise, y a invité Maman et Fiston comme actionnaires, il pouvait effectivement fractionner le revenu de dividendes entre eux, plutôt que d’assumer lui-même la totalité de l’impôt à un taux plus élevé. C’est en partie ce à quoi les règles de l’IRF avaient pour but de mettre fin.

Lorsqu’elles s’appliquent, les règles de l’IRF font que tout revenu constaté est imposé entre les mains du bénéficiaire au taux le plus élevé en vigueur à ce moment, même si le bénéficiaire ne se situe pas dans la tranche d’imposition la plus élevée.

Les règles de l’IRF prévoient diverses exceptions qui permettent toujours un certain fractionnement du revenu. Il demeure essentiel d’obtenir des conseils professionnels avant de faire toute forme de cadeaux ou de paiements à des membres de la famille, afin de veiller à ne pas déclencher involontairement l’application des règles de l’IRF ou de l’une quelconque des nombreuses règles anti-évitement de la LIR. 

Planification au moyen d’un prêt au taux prescrit

Une autre technique de planification courante − bien que peu intéressante en ce moment − faisant intervenir des fiducies est la planification au moyen d’un prêt au taux prescrit.

Cette planification est une autre façon pour les membres d’une famille de tirer avantage d’une fiducie tout en maintenant l’impôt au minimum. Essentiellement, un membre de la famille imposé à un taux élevé peut consentir à la fiducie un prêt dont celle-ci pourra investir le montant et générer un revenu qu’elle distribuera ensuite à des membres de la famille ayant un taux d’imposition inférieur.

Cette procédure activera normalement diverses règles anti-évidement de la LIR. Cependant, moyennant quelques mesures particulières, cette planification pourra se révéler avantageuse sans activer quelque règle fiscale défavorable que ce soit.

En premier lieu, le prêteur doit exiger que la fiducie paie l’intérêt sur le montant prêté. Dans la mesure où le taux d’intérêt est au moins égal au « taux prescrit » au moment du prêt, l’application d’un groupe de règles anti-évitement − les règles d’attribution − peut être annulée.

Le taux prescrit est un taux fixé trimestriellement par l’ARC selon la moyenne sur trois mois des taux des bons du Trésor. Le taux actuel est de 6 % mais, compte tenu de la prévision de baisse des taux, on peut s’atten-dre à ce qu’il diminue cette année.

L’autre groupe important de règles anti-évitement est celui des règles de l’IRF. Comme il a été décrit plus haut, les montants distribués aux bénéficiaires provenant d’un membre d’une famille peuvent être visés par ces règles. Une exception significative concerne toutefois les dividendes reçus de sociétés inscrites en bourse.

Par conséquent, la fiducie pourrait investir l’argent emprunté dans des sociétés publiques (ouvertes). Tous les dividendes reçus de ces sociétés ne devraient pas être assujettis à l’IRF et pourraient être distribués à des membres adultes de la famille imposés à un taux inférieur.

L’avantage de cette planification tient à la différence entre le taux d’intérêt prescrit (qui était traditionnellement relativement bas) et le taux de rendement offert par les placements de portefeuille. Par conséquent, avec le taux d’intérêt prescrit actuel de 6 %, ce genre de planification est relativement peu attrayant en ce moment. Il demeure toutefois possible si le taux d’intérêt prescrit devait revenir à des niveaux plus bas, comme cela pourrait arri-ver. (Pour les deux années terminées en juin 2022, le taux était de 1 %.)

Multiplication de l’exonération des gains en capital

Même si les possibilités d’utilisation des fiducies pour le fractionnement du revenu ont été restreintes au cours des dernières années, il y a toujours un avantage important à détenir des biens, en particulier des actions, dans une fiducie : la multiplication possible de l’exonération cumulative des gains en capital (« ECGC »).

Lorsqu’un particulier vend des actions de certaines sociétés (« actions admissibles de petite entreprise » − AAPE), tout gain résultant de la vente peut effectivement être exonéré de l’impôt grâce à l’utilisation de son ECGC. L’exonération peut également s’appliquer à certains biens agricoles et de pêche.

En 2024, un peu plus de 1 M$ de gains en capital peuvent être exonérés de l’impôt si le particulier n’a pas déjà utilisé une partie de son ECGC. Nous avons étudié l’utilisation de l’ECGC, en rapport avec des AAPE, dans notre Bulletin de fiscalité de janvier 2024.

Les fiducies ne peuvent se prévaloir de l’ECGC, mais les particuliers bénéficiaires peuvent le faire. Du fait de la capacité dont elle jouit de distribuer les gains aux bénéficiaires, de façon qu’ils soient imposés entre leurs mains, la fiducie peut attribuer des parties d’un gain admissible à un ou plusieurs bénéficiaires. Si ces bénéficiaires ont un solde d’ECGC disponible, ils peuvent s’en servir pour mettre à l’abri de l’impôt une partie ou la totalité du gain.

Par conséquent, au lieu qu’un particulier réalise le gain et se prévale de l’ECGC, de multiples particuliers peuvent le faire, et de multiples montants peuvent être demandés au titre de l’ECGC. En Ontario, les économies d’impôt pouvant résulter de l’utilisation de l’ECGC dépassent 270 000 $ par contribuable!

Désavantages

Même si les fiducies présentent à la fois des avantages fiscaux et non fiscaux, elles comportent aussi quelques désavantages importants qu’il nous faut bien comprendre.

En premier lieu, la plupart des fiducies ont l’obligation de produire des déclarations annuelles. Cette exigence comprend la production d’une déclaration fiscale annuelle T3 des revenus et gains réalisés et des distributions effectuées dans l’année, et des feuillets T3 afin de fournir aux bénéficiaires ce dont ils ont besoin pour s’acquitter de leurs obligations de déclarations personnelles.

La déclaration T3 doit être produite dans les 90 jours suivant la fin de l’année de la fiducie et des pénalités pour non-conformité sont prévues tant à l’égard de la déclaration de revenus que des feuillets T3.

De plus, les fiduciaires ont l’obligation de tenir des registres adéquats des revenus et des biens de la fiducie. Lorsque les biens de la fiducie sont nombreux, cela peut devenir une tâche ardue et coûteuse.

À compter de 2024 (pour l’année 2023), une obligation administrative supplémentaire s’ajoute sous la forme de nouvelles règes de déclaration des fiducies, comme nous l’avons vu plus haut. Ces règles ont aussi accru le nombre de fiducies tenues de produire une déclaration T3 annuelle.

Les fiducies doivent maintenant fournir une quantité importante de renseignements personnels en rapport avec la fiducie elle-même et les diverses personnes en cause, dont le constituant, les fiduciaires et les bénéficiaires. Des renseignements tels les noms, adresses, dates de naissance et numéros d’assurance sociale sont requis.

Ces nouvelles règles imposent des pénalités importantes si une déclaration n’est pas produite, ou si des renseignements inexacts sont fournis, en particulier si l’erreur ou l’omission est considérée comme ayant été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde. La pénalité peut être de 5 % de la valeur la plus élevée des biens de la fiducie dans l’année!

Un autre inconvénient du recours à une fiducie familiale est sa durée de vie limitée. Les fiducies ne peuvent exister que pendant 21 ans avant de devoir payer l’impôt. Le jour du 21e anniversaire de la fiducie, celle-ci est réputée vendre et acquérir de nouveau tous ses biens à leur valeur marchande du moment. Les gains cumulés sont alors réalisés et imposés.

Une façon d’éviter cette charge fiscale est de distribuer les biens de la fiducie aux bénéficiaires avant le 21e anniversaire. Il est possible, dans bien des cas, de transférer les biens aux bénéficiaires au coût, ce qui signifie que les gains cumulés demeurent non réalisés et que l’impôt n’est payé que lorsque le bénéficiaire vend ou transfère les biens plus tard. L’impôt est alors payé par le bénéficiaire et non par la fiducie. (Les règles à cet égard sont toutefois très complexes et il arrive que ce « roulement » ne soit pas possible.)

En pratique, le plus souvent, les fiducies sont liquidées juste avant leur 21e anniversaire, ce qui les force à prendre la décision ultime, à savoir quel bénéficiaire recevra quel bien. Selon la situation des bénéficiaires à ce moment, il peut s’ensuivre un choix épineux : transférer des biens à un moment inapproprié ou assumer une charge fiscale importante.

Conclusion

Même si les récentes règles antiévitement ont considérablement limité les avantages fiscaux des fiducies familiales, de tels avantages existent toujours. Fait plus important, les avantages non fiscaux d’une fiducie familiale, et la souplesse générale que de telles structures produisent en termes de planification successorale, font en sorte que les fiducies demeurent un outil de planification successorale valable dans les bonnes circonstances.

Mise à jour : 12 February 2024