Moore
Bulletin de septembre 2019

L’ARC contrôle sa procédure de vérification : les tribunaux refusent de s’interposer

On sait pertinemment que, dans les causes entendues par les tribunaux depuis nombre d’années (p.ex., Main Rehabilitation Co., 2004 CAF 403), si vous portez en appel un avis de cotisation d’impôt sur le revenu (ou de TPS/TVH), la seule question que la Cour canadienne de l’impôt (CCI) peut traiter est de savoir si l’avis de cotisation est légal et exact. La manière dont l’Agence du revenu du Canada (ARC) s’est comportée durant la procédure de vérification n’importe pas. Même si le vérificateur a agi de façon déraisonnable, une fois que vous avez reçu l’avis, vous devez démontrer à la CCI pourquoi celui-ci est erroné, et la conduite du vérificateur n’est pas pertinente. (Si l’avis de cotisation porte sur la TPS/TVH ou les déductions à la source, les services de recouvrement de l’ARC vous obligeront à payer le montant réclamé même si vous avez entamé une démarche d’appel, bien avant que vous n’atteigniez la CCI.)

Que faire alors si un vérificateur de l’ARC agit de façon déraisonnable − en produisant un avis de cotisation de toute évidence erroné?

Vous ne pouvez vous adresser à la CCI pendant la vérification. À moins qu’il n’y ait un avis de cotisation à porter en appel, la CCI n’a aucun fondement juridique lui permettant d’étudier votre cas.

Vous pouvez demander de l’aide au chef d’équipe du vérificateur ou à un supérieur, mais il soutiendra souvent le vérificateur, à moins que vous ne puissiez démontrer une violation évidente d’une politique de l’ARC ou une interprétation clairement erronée de la loi (en dépit de quoi il pourrait le faire quand même).

En cas d’impasse, vous pouvez déposer une « plainte liée au service » à l’ARC. Si cela ne vous mène toujours nulle part, vous pouvez demander l’aide de l’ombudsman des contribuables, qui peut adresser des recommandations à l’ARC. Celles-ci ne sont toutefois par contraignantes, et il appartient à l’ARC de décider de quelle façon elle procédera à la vérification, et si elle établira un avis de nouvelle cotisation et, le cas échéant, à quel moment.

Existe-t-il d’autres options sur le plan juridique?

Oui − en théorie. La Cour fédérale (CF) a juridiction sur l’ARC. Si l’ARC a pris une décision avec laquelle vous n’êtes pas d’accord (autre que de délivrer un avis de cotisation que vous pouvez porter devant la CCI), vous pouvez demander un « contrôle judiciaire » à la CF, dans le but d’obtenir une ordonnance tel un bref de mandamus (« nous ordonnons ») ou une injonction, qui dictera à l’ARC quoi faire ou ne pas faire.

Comme le démontrent deux jugements récents, en pratique, la CF est très peu encline à intervenir. Les causes en question sont celles de Safe Workforce Inc. (2019 CF 645) et de Ghazi (2019 CF 860).

Dans la première cause, Safe Workforce (SW) avait fait l’objet d’une vérification par l’ARC. Le vérificateur avait soumis une lettre de projet de nouvelle cotisation. SW a demandé tous les renseignements que contenait le dossier du vérificateur au sujet de SW (afin de pouvoir mieux réagir au projet de cotisation) et, même si quelques renseignements lui ont été communiqués, la réponse de l’ARC aux demandes subséquentes a été que SW devait produire une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. SW a présenté une demande de divulgation, mais le service de l’Accès à l’information de l’ARC a mis du temps à répondre. Quelques mois plus tard, le vérificateur a indiqué qu’il allait « conclure la vérification » et établir l’avis de cotisation. SW a porté plainte auprès des supérieurs du vérificateur, et la directrice adjointe de la vérification de l’ARC a confirmé que le vérificateur pouvait procéder et établir l’avis de cotisation.

SW a présenté une demande de contrôle judiciaire à la CF dans le but d’obtenir une injonction qui empêcherait l’ARC de délivrer l’avis de cotisation jusqu’à ce que les renseignements demandés par SW lui aient été communiqués en vertu de l’Accès à l’information, de telle sorte qu’elle puisse soumettre de nouvelles demandes. Raisonnable, n’est-ce pas?

Le gouvernement a présenté une requête visant à radier la demande de contrôle judiciaire en raison du fait qu’elle ne pouvait pas être accueillie. SW a soumis à son tour une requête en injonction interlocutoire provisoire pour empêcher que l’avis de cotisation ne soit délivré tant que la demande de contrôle judiciaire ne serait pas entendue.

La CF a rejeté les deux requêtes. La Cour a affirmé qu’il était trop tôt pour rejeter la demande, parce qu’elle pouvait théoriquement être accueillie. Mais la Cour a également refusé d’accorder une injonction interlocutoire, car rien n’indiquait que SW subirait un « préjudice irréparable » si l’avis de cotisation était délivré, puisqu’il pourrait alors être porté en appel devant la CCI.

SW a donc effectivement perdu sa cause puisque l’ARC pouvait délivrer l’avis de cotisation. Comme l’a expliqué le juge : « il n’est aucunement obligatoire, en vertu de la loi ou de la common law, de permettre à la demanderesse de participer au processus de vérification ». En d’autres termes, un projet de cotisation d’un vérificateur relève de la courtoisie administrative et, du fait qu’il n’a aucune valeur juridique, ne vous donne pas un droit légal d’arrêter le processus de délivrance de l’avis de cotisation.

Ghazi était une cause à peu près semblable. Ghazi avait fait l’objet d’une vérification de l’ARC, qui projetait de l’imposer pour de la TVH non perçue sur la vente de deux immeubles. Son avocat avait demandé au vérificateur les faits sur lesquels ce dernier se fondait pour étayer l’avis et les pénalités envisagés.

Ghazi a cherché à obtenir de la directrice adjointe de la vérification de l’ARC qu’elle remplace les vérificateurs, et transfère le dossier à une nouvelle équipe de vérification. Cela lui ayant été refusé, Ghazi a demandé un contrôle judiciaire à la CF. Il cherchait à obtenir une ordonnance exigeant que l’ARC retire le vérificateur et le chef d”équipe de la vérification.

La CF a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Ghazi sans audience, car elle n’avait aucune chance d’être accueillie. Toute plainte de Ghazi au sujet de la conduite de l’équipe de vérification pouvait être examinée par l’ombudsman de l’ARC. Le but véritable de Ghazi était d’empêcher la délivrance de l’avis de cotisation, ce que la CF ne pouvait pas faire. Ghazi avait un recours approprié, soit de porter l’avis de cotisation devant la CCI.

Comme on peut le voir dans ces deux causes, en pratique, on ne peut espérer quelque aide des tribunaux pour empêcher la délivrance d’un avis de cotisation consécutif à une vérification. Si vous n’avez pas de chance avec la direction de l’ARC ou l’ombudsman, l’avis de cotisation sera délivré, et tout ce que vous pourrez faire sera d’en appeler auprès de la CCI. Si l’avis porte sur la TPS/TVH ou des déductions à la source, vous aurez l’obligation de payer même si vous interjetez appel.

Mise à jour : 13 September 2019

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