Moore
Bulletin mai 2024

Qu’arrive-t-il sur le plan fiscal si vous quittez votre emploi − soit volontairement soit par suite d’un licenciement− et que votre employeur vous verse de l’argent?

Normalement, vous pourriez recevoir l’un des deux types de paiements suivants, ou les deux :

(1) Un prolongement du versement de votre salaire pendant un certain temps, alors que vous êtes toujours officiellement en emploi. Vous pourriez, par exemple, recevoir un avis de cessation d’emploi de 12 mois, période au cours de laquelle votre salaire et vos avantages seraient maintenus − que vous vous présentiez au travail ou non.

(2) Une indemnité de cessation d’emploi. Vous pourriez, par exemple, toucher un salaire de 12 mois. L’indemnité pourrait prendre l’une des formes suivantes :

  • votre employeur vous propose une « retraite anticipée » que vous acceptez;
  • vous faites l’objet d’un licenciement et vous acceptez une indemnité de cessation d’emploi de 12 mois;
  • vous faites l’objet d’un licenciement et vous n’acceptez pas l’offre de l’employeur. Vous consultez plutôt un avocat, qui menace votre employeur de poursuite pour congédiement injustifié. Vous intentez peut-être même cette poursuite. Au bout du compte, vous obtenez un règlement, avec l’aide de votre avocat, et l’employeur vous verse l’équivalent d’un salaire de 12 mois;
  • vous faites l’objet d’un licenciement et vous poursuivez votre ex-employeur. La question ne se règle pas avant le procès, et la cour vous accorde un salaire de 12 mois pour congédiement injustifié.

Les paiements du type (1) ci-dessus, qui prolongent le versement de votre salaire, sont considérés comme un revenu d’emploi ordinaire; ils sont assujettis au même traitement fiscal que celui qui s’applique à votre salaire avant réception de l’avis de cessation. Les mêmes retenues à la source s’appliquent également – et correspondent à peu près au montant d’impôt que vous devrez payer sur ce revenu. L’impôt continue aussi de s’appliquer à tous les avantages imposables qui sont maintenus pendant que vous touchez toujours un salaire.

Les paiements du type (2) ci-dessus − qu’ils vous soient simplement offerts par l’employeur (et que vous acceptez), versés en règlement d’une poursuite pour congédiement injustifié, ou accordés par un tribunal −, s’inscrivent dans ce que la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) définit comme une « allocation de retraite ». Cette expression englobe en outre une somme effectivement reçue en reconnaissance de longs états de services au moment de votre retraite.

Une « allocation de retraite » est imposable, et doit entrer dans le calcul du revenu dans votre déclaration de revenus. Il n’importe donc pas, à certains égards, que le versement de votre salaire soit prolongé ou que vous receviez une indemnité de cessation d’emploi. Il y a toutefois certaines différences importantes entre une « allocation de retraite » et un revenu d’emploi ordinaire.

  • Si la date du début de votre emploi auprès de cet employeur (ou d’un employeur lié) est antérieure au 1er janvier 1996, une partie de l’allocation de retraite peut être transférée dans votre REER au lieu d’être imposée dans l’année du versement. Vous pouvez transférer jusqu’à 2 000 $ pour chaque année civile (ou partie d’une année) au cours de laquelle vous étiez à l’emploi de cet employeur (ou d’un employeur lié) avant 1996.

De la même manière, si vous ne participiez pas à un régime de pension ou un régime de participation différée aux bénéfices dont les droits vous sont acquis, vous pouvez ajouter un montant additionnel de 1 500 $ pour chaque année ou partie d’année d’emploi occupé avant 1989.

Si l’argent en question est viré directement par votre employeur dans votre REER, aucun impôt ne sera retenu sur le paiement. Toutefois, si tel n’est pas le cas, vous pouvez toujours effectuer le virement vous-même, dans la mesure où vous le faites dans les 60 jours suivant la fin de l’année (même échéance que pour les cotisations ordinaires à un REER).

· Une « allocation de retraite » n’est pas considérée comme un revenu d’emploi aux fins de l’impôt. (Techniquement, elle est imposable en vertu de l’article 56 de la LIR, plutôt qu’en vertu des articles relatifs au revenu d’emploi, soit les articles 5, 6 et 7.) Il s’ensuit qu’elle ne crée pas de droits de cotisation à un REER (sauf pour l’emploi antérieur à 1996 évoqué ci-dessus), et ne représente pas un « revenu gagné » aux fins de la déduction pour frais de garde d’enfants. Il s’ensuit également que vous (et votre employeur) n’aurez pas à verser de cotisations au Régime de pensions du Canada / Régime de rentes du Québec ni de cotisations à l’assurance emploi sur l’« allocation de retraite »; par conséquent, si le paie-ment est fait tôt dans l’année civile à un moment où des cotisations au RPC/RRQ et à l’AE seraient exigées sur un revenu d’emploi, une « allocation de retraite » pourrait être préférable.

  • La retenue d’impôt à la source devant être effectuée sur l’allocation de retraite (autre qu’un montant transféré directement dans votre REER comme nous l’avons vu) est de 10 % des montants à concurrence de 5 000 $, de 20 % du total des montants de 5 000,01 $ à 15 000 $, et de 30 % du total des montants de 15 000,01 $ et plus. (Au Québec, la retenue est respectivement de 21 %, 30 % et 35 %.) Il ne s’agit ici que d’un paiement par anticipation de votre impôt; il faudra calculer l’impôt réel que vous devrez payer dans votre déclaration de revenus pour l’année en incluant l’allocation de retraite dans votre revenu, et vous obtiendrez un crédit pour l’impôt retenu. Par conséquent, si vous vous situez dans une fourchette d’imposition de 50 %, vous pourriez devoir mettre de côté un supplément de 20 % du montant avant impôt pour couvrir l’impôt que vous devrez verser le printemps suivant.
  • Si vous devenez un non-résident avant de recevoir l’allocation de retraite, le seul impôt perçu sera une retenue uniforme de 25 % à laquelle sont assujettis les non-résidents, plutôt que l’impôt ordinaire sur le revenu des particuliers dont les taux peuvent atteindre jusqu’à 54 %. Si vous envisagez de quitter le Canada, ce pourrait être une bonne idée de le faire, et de « couper vos liens » avec le Canada de façon assez importante pour devenir un non-résident (voir le Folio de l’impôt sur le revenu S5-C1-F1 de l’Agence du revenu du Canada (ARC)), ou de devenir résident du pays étranger conformément à la convention fiscale du Canada avec ce pays, avant de recevoir le paiement.

Y a-t-il quelque moyen d’exonérer d’impôt le règlement?

Mis à part le transfert dans un REER évoqué ci-dessus, il y a d’autres façons d’exonérer d’impôt les paiements pour congédiement injustifié, au moins partiellement.

(A) Si vous poursuivez votre employeur pour préjudice − détresse psychologique ou diffamation (ou calomnie), par exemple − et que le règlement ou le jugement de la cour attribue explicitement un mon-tant à ce type de dommages-intérêts, ce montant pourrait être non imposable.

L’ARC pourrait contester votre défaut de déclarer le revenu en cause, et pourrait vous adresser un avis de nouvelle cotisation prétendant que le paiement visait en réalité une perte d’emploi, ce qui signifie que les faits et la documentation doivent corroborer la prétention que le paiement visait un préjudice. Quoi qu’il en soit, plusieurs contribuables ont eu gain de cause en invoquant cet argument auprès de la Cour canadienne de l’impôt (CCI).

Si vous adoptez cette approche, vous devez accepter de vivre dans une certaine incertitude pendant plusieurs années. Il y a toujours de bonnes chances que votre dossier ne soit jamais audité, voire jamais réévalué. Trois ans après la date de l’avis de nouvelle cotisation relatif à l’année de réception du paiement, l’ARC ne peut normalement vous imposer de nouveau.

(B) De la même manière, l’ARC reconnaît normalement que si vous ou votre employeur qualifiez une partie du paiement de dommages-intérêts accordés pour violation des droits humains, cette partie est exonérée d’impôt (jusqu’au maximum pouvant être accordé en vertu de la législation applicable en matière de droits de la personne).

(C) Dans la même optique que ci-dessus, il se pourrait que, en cas de méfait grave de votre employeur, un tribunal qualifie une partie des montants qui vous sont accordés de « dommages punitifs » ou de « dom-mages exemplaires », qui ne seraient pas imposables.

(D) Vous pouvez demander à votre employeur de vous fournir des services de consultation pour réembauche ou retraite dans le cadre du règlement. Ces avantages ne sont pas imposables en vertu de la LIR.

(E) Les montants payés par l’employeur à votre avocat pour vos frais juridiques ne sont pas imposables pour vous. Par ailleurs, si vous recevez les fonds et payez vous-même votre avocat, les frais juridiques sont déductibles du montant du règlement, et peuvent donc réduire l’« allocation de retraite » ou le revenu d’emploi sur lequel vous devez payer l’impôt.

Compte tenu de toutes ces considérations fiscales, il est essentiel que vous procédiez à une planification fiscale très tôt dans le processus de soumission d’une demande d’indemnisation pour congédiement injustifié − dès la première lettre que vous ou votre avocat adressez à l’employeur. Si vous attendez que l’entente soit entérinée et qu’un montant de règlement soit sur le point de vous être versé pour commencer à penser impôt sur le revenu, il sera probablement trop tard pour éviter que le montant du règlement soit pleinement imposable.

Mise à jour : 8 May 2024