La plupart des litiges entre des contribuables et l’ARC, s’ils ne sont pas résolus, peuvent être portés en appel devant la CCI (après transmission d’un premier avis d’opposition à l’ARC). Ce processus d’appel est celui que vous suivez si l’ARC vous adresse un « avis de cotisation » ou un « avis de nouvelle cotisation » qui, selon vous, est inexact.
Cependant, quelques questions sont laissées à la discrétion de l’ARC : l’Agence peut choisir de vous faire grâce, ou pas. Elle peut, par exemple, renoncer aux intérêts et pénalités, ou les annuler : la LIR accorde ce pouvoir à l’ARC, et celle-ci a des règles d’« allègement pour les contribuables » qu’elle appliquera au moment de décider s’il convient de renoncer à une partie ou à la totalité des intérêts et pénalités.
Un autre exemple est celui d’une demande d’ouverture d’une année d’imposition antérieure pour que soient autorisés des déductions ou des crédits qui n’ont pas été précédemment demandés. La LIR permet de donner suite à telle demande pour une période pouvant aller jusqu’à 10 ans, mais l’ARC a toute discrétion de le faire ou non (en appliquant ici encore les règles d’« allègement pour les contribuables »).
Que pouvez-vous faire si l’ARC refuse de vous accorder un allègement?
Vous ne pouvez porter la décision en appel devant la CCI. L’avis de cotisation n’est pas juridiquement inexact. Vous pensez simplement que l’ARC n’a pas été juste en vous refusant l’allègement que vous demandiez.
Vous pouvez cependant demander à la Cour d’appel fédérale une « révision judiciaire » de la décision de l’ARC. On sait pertinemment depuis des décennies que, si la décision de l’ARC est « déraisonnable », la CAF peut ordonner à l’Agence de demander à un autre fonctionnaire délégué de rendre une nouvelle décision. (La Cour ne peut renverser elle-même la décision.)
Mais, qu’est-ce que l’on entend par « déraisonnable »?
En 2019, au terme d’un procès, la CSC, dans un jugement à 7 contre 2, a établi de nouvelles règles de droit quant à l’évaluation par les pouvoirs judiciaires du caractère « raisonnable » des décisions administratives. Les nouvelles règles exigent de l’ARC (et des autres organismes publics) plus de transparence et de soin dans l’énonciation des raisons motivant son refus de donner suite à une demande. Même si les lettres communiquées par l’ARC dans le cadre du programme de l’allègement pour les contribuables contiennent habituellement les détails des motifs, la décision dans Vavilov risque d’exiger plus de profondeur de la part de l’ARC.
Le jugement Vavilov est exceptionnellement long : 266 pages (bien que la décision de la majorité soit résumée en une trentaine de pages « seulement »). Appliquer cette décision à des litiges futurs avec l’ARC sera un défi. Voici quelques nouveaux points essentiels dont il faudra tenir compte, à la lumière des motifs invoqués par les 7 juges de la majorité, pour déterminer si l’ARC a agi de façon raisonnable en refusant, par exemple, de renoncer à des intérêts ou d’accueillir une demande tardive de déduction :
- L’ARC doit « adhérer à une culture de la justification et démontrer que l’exercice du pouvoir public qui [lui] est délégué peut être justifié » (par. 14).
- La Cour fédérale doit s’assurer que « la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (par. 15).
- La Cour ne se demande pas quelle décision elle aurait elle-même rendue, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions possibles, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Elle n’est appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par l’ARC — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu (par. 83).
- Deux lacunes fondamentales tendent à rendre une décision déraisonnable (par. 101) : « le manque de logique interne du raisonnement » [par exemple, la décision est fondée sur une analyse irrationnelle, ou la lecture des motifs en corrélation avec le dossier ne permet pas de comprendre le raisonnement suivi sur un point central ou lesdits motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel (par. 103 − 104)], et « une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes », étant donné le régime législatif applicable, les autres principes législatifs pertinents, les principes d’interprétation des lois, la preuve portée à la connaissance de l’ARC et les faits dont l’ARC peut prendre connaissance, les observations des parties, les pratiques et décisions antérieures de l’ARC et l’impact potentiel de la décision sur l’individu qui en fait l’objet (par. 106).
- De plus, l’ARC doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments (par. 126).
- La question de savoir si une décision en particulier est conforme à la jurisprudence de l’ARC est elle aussi une contrainte dont la Cour devrait tenir compte (par. 131).
- Enfin, les individus ont droit à une plus grande protection procédurale lorsque la décision sous examen est susceptible d’avoir des répercussions personnelles importantes ou de leur causer un grave préjudice, y compris des conséquences menaçant leur vie (par. 133) et, si les répercussions sont importantes, l’ARC doit expliquer pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur dans l’adoption de la règle qui lui donne le pouvoir de prendre une décision.
Comme on peut le constater, au vu du nombre de facteurs énumérés, il sera facile de faire valoir, dans un cas donné, que la décision de l’ARC était déraisonnable. Et le jugement Vavilov viendra en outre améliorer les chances qu’un contribuable soit en mesure de contester une décision discrétionnaire de l’ARC.